La décolonisation fait partie du programme d’histoire au lycée en France. Voici une synthèse qui pourra être utile aux élèves et à ceux qui les accompagnent.
La France avait voulu apporter les idéaux de la Révolution à ses voisins, mais la bataille de Waterloo et le congrès de Vienne mirent un terme au « droit de conquête » en Europe en 1815. Les Français, et leurs vainqueurs britanniques, se tournèrent alors vers le reste du monde, avec une cible de choix : l’Afrique. Si les canons sauront réduire au silence les opposants au colonialisme sur place en leur faisant vivre un noir cauchemar, en Europe, ce sera la propagande qui laissera les mains libres aux épigones (héritiers) des esclavagistes grâce au rêve colonial dont on berça les opinions publiques. Comme le disait Mirabeau, « l’homme est comme le lapin, il s’attrape par les oreilles ».
Il fallait donc pour commencer que personne n’entende parler de la première république noire au monde, indépendante en 1804 après sa victoire sur Napoléon. Il fallait la faire taire. Ce fut chose faite en 1825 : la France étouffe Haïti par un blocus et jusqu’en 1952 l’oblige à payer une dette rendant le pays exsangue. Exit de la mémoire collective ce fâcheux précédent d’une décolonisation réussie. Il fallait étouffer l’espoir et « inculquer savamment le désespoir », comme le disait Aimé Césaire, avec « la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement » et le fait de se comporter en larbin.
Cinq ans après avoir étouffé Haïti, la France débarque en Algérie en 1830. Tandis qu’elle colonise l’Afrique d’Ouest en Est, l’Angleterre suit le projet du millionnaire Cecil Rhodes de la coloniser du Nord au Sud. La rencontre est inévitable : c’est Fachoda en 1898. Le Royaume-Uni l’emporte. Les empires coloniaux se partagent l’Afrique et s’échangent même des territoires comme une partie du Congo à l’actuelle Allemagne contre le Maroc pour la France. Sur le papier, tout à l’air simple. Des romans de Kipling aux cartes de géographie, tout laisse croire à un monde binaire : la civilisation blanche d’un côté et l’arriération noire de l’autre. Même Victor Hugo se laissera prendre à ce manichéisme, lors d’un banquet qui célèbre, ironie, l’abolition de l’esclavagisme ! Grâce aux jolies cartes de géographies uniformes volontairement rassurantes, ou aux cartes postales édifiantes soulignant le progrès technique, les opinions publiques européennes voient la vie en rose, la couleur des empires coloniaux, tandis que la réalité est plus noire. On tait systématiquement la lutte continue des colonisés, que ce soit en Asie, Indes britanniques ou Indochine française, comme en Afrique. Pour masquer cette réalité crue, Jules Ferry avancera le devoir de ceux qui savent à éduquer ceux qui ne savent pas : enfants en France et indigènes dans les colonies (à quand la décolonisation de l’école ?…). Ce n’était qu’un paravent à l’exploitation d’une majorité par une minorité.
Mais comment, par exemple, 2.000 Européens contrôlaient 200 millions d’Indiens ? Tout simplement en s’assurant :
– d’un côté le soutien de leurs opinions publiques grâce
- ① à la représentation des colonisés comme des êtres inférieurs et des colonisateurs comme des êtres supérieurs ;
- ② à une propagande vantant la civilisation technique européenne et rabaissant les révoltés locaux comme victimes de boniments religieux comme « la Jihad » en Afrique du Nord ;
- ③ à une littérature présentant les indigènes comme de bons sauvages (tradition depuis Rousseau) pouvant se laisser attraper par des obscurantistes mais que l’éducation peut éclairer et libérer ;
– et d’un autre côté le contrôle social des indigènes grâce
- ① à une dévalorisation systématique de leurs cultures (des modes de vie aux systèmes de croyances) ;
- ② à une supériorité militaire et administrative due à la seule technique ;
- ③ à une éducation qui enseigne la soumission plutôt que l’égalité, la liberté et la fraternité.
La décolonisation n’a donc pas commencé dans les années 1950. Elle a commencé dès le premier jour de la colonisation par un processus de lutte des colonisés contre les colonisateurs. L’histoire et la géographie montrent la complexité de ce processus, et comment les discours politiques, les cartes géographiques et les récits historiques furent au service de l’idéologie coloniale.