Réussir à voir autrement les mathématiques

Pouvez-vous préciser ?

Volontiers. Je reprendrai un exemple donné lors d’une conférence à Modène organisé par mon estimé collègue Ermanno Tarracchini.
L’univers mental des enfants de l’époque de Maria Montessori, disons, il y a un siècle, n’est plus le même que celui des enfants contemporains. Bien sûr, nous utilisons les mêmes mots. Mais ces mots ne provoquent pas la même chose chez l’enfant. Prenons le mot lait par exemple.
Il y a un siècle, les enfants savaient facilement que le lait venait de la vache, celle qu’ils pouvaient voir dans un pré. Qu’il fallait faire rentrer à l’étable. Qu’il fallait traire. Et peut-être fallait-il encore quelques actions avant de boire ce lait. L’enfant grandissait dans un monde où les transformations étaient non seulement visibles mais omniprésentes.
Un enfant de nos jours ouvre la porte du frigo et se sert du lait. Il ne voit plus ni le pré, ni la vache, ni aucune des transformations requises. Elles sont occultées. Et avec l’informatique (et ses écrans), ce n’est plus seulement le temps qui se cache, c’est l’espace qui disparaît avec la possibilité de voir quelqu’un n’importe où. L’enfant contemporain vit dans un univers d’immédiateté et d’ubiquité. Ce sont des conséquences du progrès technique.
Contrairement à l’enfant actuel, l’enfant d’il y a un siècle vivait dans un monde où il voyait, entendait, sentait, goûtait, ressentait les transformations. Cela l’invitait à peupler son monde intérieur de transformations, cruellement déficitaires chez l’enfant actuel. Nous sommes donc obligés, plus aujourd’hui qu’il y a un siècle, de mettre en évidence les actions cachées, d’expliciter les implicites.
Notre pédagogie doit s’adapter pour donner à l’enfant le vécu de ses actions intérieures et la juste place à chaque chose, et à chaque être. Maria Montessori dût affronter d’autres tâches, et lesquelles ! Nous avons les difficultés de notre temps à surmonter.

Cela peut sembler paradoxal : le monde se complexifie et vous proposez une méthode simple !

Comme je dis souvent à mes élèves, l’art, c’est de faire simple. Faire compliqué est à la portée de n’importe quel abruti. C’est d’ailleurs une façon de les reconnaître : donnez-leur quelque chose de simple, ils vous en font quelque chose de compliqué !
C’est dans l’ordre des choses. C’est quand même plus simple d’ouvrir la porte du frigo et de se servir du lait que d’aller traire la vache. Mais ce progrès technique extérieur doit s’équilibrer par une évolution consciente intérieure. Grâce à des activités simples comme celle des neuf niveaux, je propose donc aux enfants de développer leur intériorité.

Les enfants, et les adolescents

Oui, c’est aussi pour cela que je parle de prolongation de la méthode Montessori : je propose des activités avec des objets jusqu’au lycée. Vous vous êtes souvenus des adolescents, je mentionnerai donc les adultes.

Pour les adultes aussi ?

Oui, le travail proposé permet de renouer avec sa propre intériorité, et de panser les blessures d’incompréhension qui sont nombreuses en maths. Ou autre chose encore. Parfois nous avons ingurgité des choses dénuées de sens qui demeurent en nous comme des poids morts : les éclairer nous libère à la fois d’une absurdité et d’un fardeau. C’est assez incroyable de voir des adultes retrouver sourire et sérénité avec juste des maths. C’est donc bien une prolongation de la méthode Montessori puisque nous nous adressons aussi aux adultes.

Vous parliez également de généralisation.

Oui, avec ma découverte des sept niveaux de compréhension en sciences cognitives, et de l’échelle de compréhension en pédagogie, je généralise à tous les domaines du savoir les découvertes de Maria Montessori, de Comenius et de La Garanderie. Mais c’est un autre sujet. Le champ ouvert est immense. J’ai voulu ici avec les mathématiques donner un exemple de ce qu’il est possible de faire.

Justement, comme vous parliez des neuf niveaux, comment ça se passe concrètement ?

Pour chaque niveau, nous proposons une progression qui suit le cycle d’apprentissage :

  1. Faire
  2. Savoir
  3. Savoir-faire
  4. Faire savoir
  5. Savoir faire faire

Le cycle d’apprentissage ?

Oui, ce qui est vivant respire. La respiration suit des cycles, comme inspirer et expirer, le cycle de base de la respiration. L’apprentissage est quelque chose de vivant. Il y a donc un cycle d’apprentissage. C’est grâce au professeur Georges Charles, directeur de l’école d’arts chevaleresques San Yi Chuan, que je l’ai mis en forme. J’avais presque tous les éléments, mais il me manquait quelque chose. Et comme souvent Georges par sa grande érudition de la culture chinoise classique me fit bénéficier d’une vue d’ensemble. Je parle du cycle d’apprentissage dans un de mes livres, Accompagner les devoirs.

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