Le voyage à Biarritz

Les émotions entre un père et son fils demeurent toujours un sujet délicat, celles entre un amoureux et une amoureuse le sont tout autant. Pour traiter ces sujets sérieux dans la bonne humeur, le réalisateur Gilles Grangier choisit un acteur sachant passer d’un clin d’œil d’une émotion à une autre, jonglant avec le rire et la tristesse, en la personne de Fernandel. Et pour compléter le tableau, il rassemble autour du héros une bonne fée avec Arletty, hélas déjà aveugle et dont ce sera le dernier rôle, un faire-valoir avec Michel Galabru, et un rival avec Rellys.

Pour le reste du décor, nous sommes dans la France des années 1960, à une époque où un salaire seul permettait encore de faire vivre une famille et où on savait encore que les jeunes de 21 ans sont de grands adolescents (l’adolescence se termine à 25 ans). Autre détail important, dans cette société, les parents sentaient que leurs enfants auraient une vie meilleure qu’eux, que l’école était un ascenseur social : une époque prospère donc.

Les parents ont tout sacrifié (leur carrière) pour leur fils qui les remercie par son ingratitude.

Pudeur émotionnelle des Méditerranéens

Bien que le film fut tourné majoritairement à Trets, nous sommes dans le village fictif de Puget-sur-Var, proche de Fréjus et Toulon. En Provence donc. Et comme dans toute la Méditerranée, on parle fort.

Dans le mode de communication méditerranéen, on peut être à deux doigts de mettre son poing sur la figure de l’autre, mais c’est pour rire. Rien à voir avec le flegme britannique, l’explication de texte américaine ou le rigorisme septentrional (adjectif pour nord).
Paradoxalement, alors que dans les films états-uniens les parents n’ont de cesse de dire « je t’aime » à leurs enfants, il y a ici une retenue verbale, une pudeur émotionnelle. On montre son amour, on ne le dit pas. Ou on en parle de façon détournée, en parlant des autres. Cela n’est pas que méditerranéen, mais sans doute traditionnel.

Tradition contre modernité

Nous pouvons lire l’histoire avec la problématique tradition contre modernité. D’un côté, la tradition qui roule sur des rails : Guillaume Dodut (Fernandel) est chef de gare à Puget-sur-Var. Il attend depuis vingt ans que son fils Charles (Jacques Chabassol) termine ses études d’ingénieur pour aller en famille, son fils, sa femme Madeleine (Hélène Tossy) et lui, à Biarritz. La tradition c’est aussi l’amour d’enfance de Charles, Thérèse (Catherine Sola). Mais, de l’autre côté, la modernité c’est, non seulement le père qui sacrifie sa carrière pour que son fils change de classe sociale, mais surtout que le fils envisage de rester à Londres pour épouser la fille de son patron directeur d’usine.
L’enfant d’un milieu modeste restera-t-il fidèle aux siens ou bien rejoindra-t-il l’élite anglo-américaine précurseuse du mondialisme ?

La honte des enfants d’être vus avec leurs parents

Est-ce ce dilemme d’être un avant-poste de l’avenir alors que l’on est issu d’un monde (de) vieux qui fait que les jeunes ont parfois honte de leurs parents ? Ou à cette difficulté d’assumer sa place s’ajoute celle d’exprimer ses émotions contradictoires ?

Toujours est-il que face au silence de son fils, le père se trouve par un heureux hasard à visiter Londres et s’attend à y rencontrer son fils. Mais le fils a trop honte de le voir. Il rate l’occasion de l’accueillir et malgré un courage tardif, il n’arrivera pas à le rattraper avant son vol de retour. C’est la double leçon de Swâmi Prajnânpad et de WANG Yangming :

« What you have to do, do it now ! »
« Ce que vous avez à faire, faites-le immédiatement. »

Swâmi Prajnânpad, cité par Arnaud Desjardins, À la recherche du Soi – 2. Au-delà du moi, p. 139, Éditions La Table Ronde.

Agir est facile.

WANG Yangming, cité par Georges CHARLES, Le rituel du dragon.

Oui, lorsque l’enfant grandit, il regrette d’avoir eu honte de ses parents. Et parfois, c’est trop tard !
Mais le père de Charles est un père aimant qui saura pardonner tout naturellement, pour une raison simple : ne pas rajouter de la souffrance à la souffrance. Annoncer à son épouse que leur fils n’était pas au rendez-vous serait une douleur inutile.

Comment faire face aux rumeurs

Le thème du pardon se rencontre également lorsque l’épouse pardonne à l’époux les rumeurs qui ont couru sur lui et donc sur eux. Car avant internet, les réseaux sociaux existaient, mais en vrai : le café, les voisins, le village… Manquant de rigueur intellectuelle comme la plupart des êtres humains, le rival du chef de gare, le chauffeur de car Louis (Rellys) est sûr d’avoir vu Guillaume et Madame Fernande (la bistrote) entrer ensemble dans un hôtel en ville. Le mari voulait seulement faire une surprise à sa femme et s’adjoindre les conseils en vêtement d’une experte…

Le film enseigne une attitude intéressante face aux rumeurs.

L’espoir fait vivre

Autre sujet récurrent du film, l’espoir, vertu théologale. Et comment faire face à une situation désespérée ? C’est aussi un questionnement de cette œuvre, qui commence de façon évidente par la fermeture prochaine de la gare. Guillaume, le chef de gare, dit que cela ne l’affecte pas. Mais la tenancière du café y voit clair.

C’est pas vrai. Vous êtes un chic type, Guillaume. Et les chics types, quand on leur fait une vacherie, ça leur fait toujours de la peine.

Madame Fernande (Arletty), Le voyage à Biarritz

 

Guillaume (Fernandel) dit alors ce qu’il a sur le cœur.

Tant que je l’avais ce train, je pouvais penser que les voyageurs reviendraient. Maintenant c’est fini. Ils ne reviendront plus. Vous voyez, ce qui me fait le plus de la peine, ce n’est pas qu’ils m’aient enlevé le train, c’est qu’ils m’aient enlevé l’espoir.

Guillaume Dodut (Fernandel), Le voyage à Biarritz

Alors il se raccroche au voyage à Biarritz en famille, mais ira-t-il ?… Car le fils une fois de retour semble hésiter…

Qui vais-je épouser ?

Et pas seulement sur le fait d’aller à Biarritz. Il hésite aussi entre la fille de son directeur d’usine de Londres et son amour d’enfance de Puget. C’est un conflit entre sa tête pour qui tout semble clair (une vie loin des racines) et ses tripes (qui le font sentir heureux parmi les siens). Il se confie à Thérèse.

— À Londres, j’ai connu la fille mon patron.
— Et tu es heureux ?
— Je ne sais plus !
— Surtout, Charles, faut pas dire ça pour moi. Parce que tu sais, moi ici ça va. Je vis avec les gens que j’aime et qui m’aiment. Et … je ne quitterai jamais Puget. J’y ai mes amis, mes souvenirs.

Cela pourrait être une définition du bonheur : vivre avec les gens que nous aimons et qui nous aiment, là où sont nos amis et nos souvenirs.
Charles sent bien que cela lui échappe. Il poursuit.

— Oui, tout ce que justement moi je vais perdre. Au début, quand je suis arrivé à Puget, j’étais sûr de moi. Mais maintenant que je t’ai revue.
— Tu voudrais peut-être que je te plaigne. Mais ça porte un nom cette façon d’être Charles, ça s’appelle l’égoïsme.
— Thérèse, écoute !
— Mais tu veux tout conserver, Puget et Londres. Tu devrais au moins avoir le courage de choisir. Ou non, puisque tu as déjà choisi. Celui d’oublier. Eh, va à Biarritz, marie-toi, deviens riche et laisse-nous à nos rêves.
— Parce que toi aussi tu rêvais ?
— J’en avais le droit non ?

L’ingratitude des enfants

Décidément, Charles a les défauts de la jeunesse. Comme celui d’être ingrat envers ses parents. Mais, comme il a quand même bon cœur, il cherche à réparer ses torts. Il se confie à la bistrote.

— Ce n’est pas votre faute. Et vous ne serez plus jamais sur la même longueur d’onde que lui. Il a sacrifié sa vie pour vous mettre sur un autre rail que le sien. Et les rails, ça ne se rencontre jamais. C’est la loi.
— Peut-être. Mais cette fois, je vous garantis que je vais essayer de la contourner. En tout cas, je n’ai pas dit mon dernier mot.

Cette bonne fée du village lui donne une méthode efficace.

— Puisque vous avez démoli son rêve, maintenant il faut lui donner une grande joie.

Ce film recèle (cache) une bonne palette d’émotions.

 

Cinéma

Il n’est certes pas considéré comme le plus grand film de Fernandel, mais c’est un film touchant par ses sentiments.

 

Mots-clés

Genre
#comédie

Public
#>7

Titre
FRA Le voyage à Biarritz, ITA (Il viaggio a Biarritz), ANG The trip to Biarritz, TCH (Výlet do Biarritz)

Scènes violentes
Aucune scène violente !

Dossier
#rumeurs #égoïsme #espoir #RelationsPèreFils #RelationsAmoureuses.

Thème
#émotion

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