Le rouge à lèvres de nos désirs

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En juin dernier, une jeune mère me racontait que son fils, 4 ans et demi, lui avait indiqué son attachement à ce qu’elle mette du rouge à lèvres pour l’accompagner à l’école. La mère avait noté cette demande répétée à quelques reprises, et me disait qu’il fallait qu’elle songe à se maquiller en conséquence à la rentrée prochaine. J’aurais aimé lui répondre alors que ce qui allait être travesti était bien plus important que ce qu’elle imaginait.

Tout d’abord, je ne me suis pas enquis de savoir quelle était la réponse donné au jeune garçon. Peut-être sa demande répétée est le signe d’un manque de réponse. Un « Oui, j’ai bien compris que tu voulais que je mette du rouge à lèvres. » aurait peut-être suffit et serait la confirmation de la réception de la demande. Sans accusé réception, le jeune ne peut que réitérer indéfiniment sa requête. Quand sa mère chérie l’entendra-t-il ?… Peut-être l’absence d’accusé réception sur ce sujet qui lui tient à cœur ne fait qu’enflammer son imagination et rend sa demande plus pressante.
« Pourquoi Maman ne semble pas m’écouter ? »
« Pourquoi fait-elle comme si elle n’avait pas entendu ma demande ? »
« Ma demande serait-elle bizarre ? »

Ensuite, une fois l’accusé réception donné, il faut arriver à déterminer si la demande relève d’une nécessité impérieuse, c’est-à-dire un besoin, ou simplement d’une envie, c’est-à-dire un désir. Là intervient le rôle de la mère et de la maman. Une mère n’est pas là pour exécuter le moindre désir de son enfant : ce serait le pourrir. Ce serait le détruire, et détruire sa capacité à se projeter dans l’avenir et donc de grandir. Car si tous ces désirs sont exaucés par la fée sa mère, pourquoi mettrait-il de l’énergie, de la vie, à vouloir les accomplir par lui-même ?… Laisser des désirs inassouvis, à construire, à l’enfant, c’est lui permettre de les réaliser et donc de grandir.

Arrive ici la problématique du départ annoncé de l’enfant. « Tu enfanteras dans la douleur » tonne l’Ancien Testament, et c’est la douleur de mettre au monde des enfants pour les voir un jour s’éloigner de soi. Comme le disait plaisamment mon tuteur anglais, « il est triste de voir ses enfants quitter la maison, mais il est encore plus triste de les y voir rester ». Aussi, comprenons bien que l’enfant que nous croyons être nôtre ne nous est que confié. Sa vie lui appartient. Un jour, comme tous les enfants, il quittera le foyer maternel. Il continuera d’aimer sa mère, la question n’est pas là. Exaucer tous les désirs de l’enfant, c’est l’infantiliser et vouloir donc le garder dans un état d’asservissement afin que jamais il ne puisse vraiment quitter les rets de sa mère. Gardons notre prudence envers ses tentatives infantilisantes, même, et surtout, inconscientes.

Mais alors, si la mère ne remplit pas les désirs de l’enfant, quel est son rôle ? Le rôle des parents est de combler les besoins de l’enfant, et non le désir.
Une des tâches difficiles est justement de bien différencier si une demande relève d’un besoin ou d’un désir.

Pour cela, interroger le principal intéressé peut apporter des éléments de réponse. « Oui, j’ai bien entendu ta demande. Qu’est ce que cela représente pour toi de …. ? » Dans notre cas présent, cela pourrait donner : « Oui, j’ai bien entendu ta demande. Qu’est-ce que cela représente pour toi que je mette du rouge à lèvres ? » Attention ! Vous entrez dans une zone formidable de la vie avec les enfants : celle de la communication. Votre enfant va vous parler de lui. Écoutez-le ! C’est sa vie, sa vision des choses. Ce ne sera jamais la vôtre.

Un autre aspect m’intéresse dans cette demande, et la volonté de la mère d’exaucer le désir de cet enfant. C’est de vivre sous le terrorisme d’apparaître comme une « bonne mère ». « Je suis une bonne mère. Je suis un bon parent. Mon enfant me demande quelque chose de réalisable, je le fais ! » À qui faites-vous alors vraiment plaisir en agissant ainsi ? À l’enfant ou à vous-même en alimentant votre image de parent-idéal-et-irréprochable-qui-a-tout-fait-pour-le-bien-être-de-sa-progéniture ? Si vous alimentez votre illusion de « parent idéal », vous ne vous respectez pas en tant qu’être humain. Votre enfant n’a pas besoin d’avoir des parents stéréotypés, il a besoin d’avoir en face de lui de VRAIS humains, VOUS, telle que vous êtes. Car si aujourd’hui vous ne vous respectez pas, comment voulez-vous plus tard qu’il vous respecte ? Si vous exaucez aujourd’hui ce désir qui vous semble minime, comment répondrez-vous à ceux grandissant à une vitesse exponentielle ? Car l’enfant a BESOIN d’avoir des DÉSIRS qui restent des désirs, des rêves. Autrement, ce sera une course éperdue au désir que vous ne pourrez pas combler, et qui lui permettra d’en avoir ENFIN un.

Si j’étais une maman, voilà ce que j’aurais peut-être dit selon la réponse donnée par l’enfant.
« Oui, mon chéri, j’ai bien compris que tu voulais que je me mette du rouge à lèvres.
C’est pour ressembler à toutes les autres mamans, mais je ne suis pas comme toutes les autres mamans. Je suis TA maman, et je suis unique. Ce qui fait que les mamans sont des mamans c’est qu’elles aiment leurs enfants. Et moi, je t’aime.
Et je t’aime même si je ne me mets pas de rouge à lèvres !
Je m’aime sans rouge à lèvres : je me trouve jolie comme ça.« 

ou

« Oui, mon chéri, j’ai bien compris que tu voulais que je me mette du rouge à lèvres. Ton copain a dit que sa maman était la plus belle car elle mettait du rouge à lèvres, et pas la tienne. Et tu penses que la plus belle des mamans c’est moi, et que si je mettais du rouge à lèvres, ton copain le verrait aussi. Mais je vais te dire un secret. Pour tous les garçons et toutes les filles, la plus belle des mamans est toujours la sienne. Pour moi, la plus belle des mamans, c’est ma maman. Et moi, je suis TA maman et je t’aime comme tu es. Et je t’aime même si je ne me mets pas de rouge à lèvres ! Je m’aime sans rouge à lèvres : je me trouve jolie comme ça. »

1ère version : © F.C. Rava-Reny, 12/08/1998



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2 réflexions sur “Le rouge à lèvres de nos désirs”

  1. Très très intéressant, et utile aussi. Voici quelques pistes de recherche auxquelles votre texte me mène.
    *À quoi peut-on différencier un besoin d’un désir, vu de l’extérieur de la personne?
    *Il y a les besoins du corps, ceux du coeur, ceux du mental, ceux de l’âme. Le besoin de beauté et de couleur peut être un besoin de l’âme, ou du système nerveux, et à ce titre il est fondamental autant que le besoin de manger, bien qu’on puisse le gérer temporellement autrement que les besoins du corps et qu’il soit parfois plus difficile d’en prendre conscience (cf votre article sur la main droite en haut).
    *Parfois les enfants ont conscience des besoins de leur âme plus fortement que des besoins de leur corps.

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