Correspondances entre la pensée et le corps

Regards croisés entre la médecine traditionnelle chinoise et la noématique. Conférence à visée pratique.

Nous autres, êtres humains, sommes conscients d’avoir un corps et un esprit. Notre connaissance du corps peut être extrêmement subtile. C’est par exemple l’énergétique taoïste qui a développé une discipline de pointe avec l’acupuncture et la médecine traditionnelle chinoise. Notre connaissance de l’esprit peut également être très subtile. C’est par exemple la phénoménologie occidentale qui a développé une discipline de pointe avec la noématique et son efficacité reconnue en pédagogie ou pour mémoriser. Mais la pensée occidentale sépare le corps et l’esprit. Et rien ne vient la contredire dans la pratique : on ne devient pas bon en maths grâce à de l’acupuncture, comme on ne soigne pas un rhume avec un problème de maths.
Pourtant il existe une jonction entre taoïsme et phénoménologie, qui les rendrait plus efficaces. James J.Y. Liu (1926-1986), professeur de littérature comparée à Stanford, montre en 1972 l’affinité entre ces deux disciplines.
Mon propos est de montrer que cette jonction est rendue difficile par deux facteurs, et que nous pouvons agir sur ces deux facteurs et rendre chacune de ses disciplines plus efficaces.
Le premier facteur est un problème de traduction des concepts de base du chinois en français ou en espagnol. Nous pouvons agir en corrigeant cette traduction, ce qui est possible grâce à une meilleure compréhension des concepts fondateurs.
Le second facteur est un problème de dénomination des activités de la pensée en psychologie. Les définitions sont trop vagues pour être efficientes. Une précision est possible grâce aux découvertes en phénoménologie.
Les cinq éléments étant retraduits en cinq mouvements élémentaires et la pensée humaine étant décrite comme une combinaison des cinq gestes mentaux élémentaires, la jonction devient évidente.
Reste à trouver pour être efficace à quel « élément » correspond quelle « activité psychique ».
Je vous présente ici le résultat de trente ans de recherche, avec une correspondance féconde.
Nous pourrons notamment élargir notre anamnèse aux champs corporels et cognitifs et rendre ainsi nos diagnostics et nos traitements plus efficaces.


Plan

  1. Introduction
  2. Les cinq éléments
    Une mauvaise traduction pour les cinq mouvements élémentaires
    Origine des « cinq éléments »
    L’énergétique chinoise comme vécu de conscience du corps : une phénoménologie du corps.
  3. Les cinq gestes mentaux
    De Binet à la recherche actuelle : 120 ans d’histoire
    La noématique comme vécu de conscience de la pensée : une phénoménologie de l’esprit
  4. La correspondance habituelle entre « cinq éléments » et « psychisme ».
    Les définitions approximatives de la psychologie rendent inefficace voire inopérante la correspondance.
    Une définition plus exacte permet d’établir un modèle fécond de correspondance.
  5. Conclusion
    Grâce aux recherches sur la pensée depuis plus d’un siècle, nous disposons d’un système de correspondances efficace. Une meilleure prise d’indices sur le niveau cognitif élargit l’anamnèse thérapeutique. Une meilleure prise d’indices sur le niveau corporel ou affectif enrichit l’anamnèse cognitive.
    Le praticien en énergétique chinoise, MTC, acupuncture, etc., peut ainsi élargir l’anamnèse au champ cognitif.
    L’accompagnant, l’enseignant, le coach, peut ainsi enrichir l’anamnèse aux champs corporels et affectifs (nutrition, couleurs, etc.).
    Une plus grande cohérence entre le fonctionnement du corps et celui de l’esprit permet leur plus grand épanouissement.

Conférence sur les liens entre le corps et la pensée en MTC

Plan

  1. Introduction
  2. Les cinq éléments
  3. Les cinq gestes mentaux
  4. La correspondance habituelle entre “cinq éléments” et “psychisme” et la nouvelle
  5. Conclusion


1. Introduction
Voir plus haut au début de l’article.


2. Les cinq éléments
Dire que la médecine traditionnelle chinoise se base ou utilise les cinq éléments est une évidence pour les praticiens. Mais comme tous mes lecteurs ne connaissent pas forcément ces notions, en voici un résumé. Les langues occidentales ont traduit par « cinq éléments » l’expression chinoise 五行 (wǔ xíng). Il y a là une première erreur, grave, de traduction. Le mot « élément » désigne dans les langues européennes quelque chose de statique. Alors que le mot chinois 行 xíng veut dire mouvement. Le français a donc traduit « les cinq mouvements » en « les cinq éléments ». L’idée n’est pas qu’il n’y a que cinq mouvements, mais qu’il y a cinq mouvements élémentaires. Quels sont-ils ? La culture chinoise les désigne par des noms d’éléments : terre, métal, eau, bois, feu. Le mouvement de l’eau par exemple est de descendre. Pour connaître les propriétés de ces éléments et de leurs mouvements élémentaires, consultons un ouvrage de référence, le Shujing 书经. Nous y trouvons le passage suivant

. 一、五行:一曰水, 二曰火, 三曰木, 四曰金, 五曰土。 水曰潤下,火曰炎上,木曰曲直,金曰從革,土爰稼穡。 潤下作鹹,炎上作苦,曲直作酸,從革作辛,稼穡作甘。

wǔ xíng : yī yuē shuǐ , èr yuē huǒ , sān yuē mù , sì yuē jīn , wǔ yuē tǔ 。
shuǐ yuē rùn xià , huǒ yuē yán shàng , mù yuē qū zhí , jīn yuē cóng gé , tǔ yuán jià sè 。
rùn xià zuò xián , yán shàng zuò kǔ , qū zhí zuò suān , cóng gé zuò xīn , jià sè zuò gān gǎn


passage

Reprenons les éléments un par un dans l’ordre habituel

  • Terre 土爰稼穑 : tǔ yuán jià sè : la terre reçoit les semailles et produit les récoltes (Propriété : transport, production et transformation)
  • Métal 金曰从革 : jīn yuē cóng gé : on dit du métal qu’il est malléable et peut se transformer (Propriété : malléable et rigueur)
  • Eau 水曰润下 : shuǐ yuē rùn xià : on dit de l’eau qu’elle humecte et descend (Propriété : humecter, mouvement vers bas et stagner.)
  • Bois 木曰曲直 : mù yuē qū zhí : on dit du bois qu’il peut fléchir et se redresser (Propriétés : croître, fléchir, se redresser)
  • Feu 火曰炎上 : huǒ yuē yán shàng : on dit du feu qu’il embrase en montant (Propriété : réchauffer et s’élever)

Puisque nous parlions de mouvements élémentaires, montrons-les tels qu’ils sont transmis dans l’école San Yi Chuan des arts classiques du tao.

Nous reviendrons sur ces cinq mouvements élémentaires dans la quatrième partie, afin d’établir des correspondances avec les cinq gestes mentaux élémentaires que nous présentons maintenant.

3. Les cinq gestes mentaux

Nous pouvons volontairement penser à une chose puis à une autre, notre pensée effectue ou subit un mouvement. Dans les langues européennes, en français comme en espagnol, lorsqu’un mouvement est structuré, dirigé, volontaire ou intentionnel, on parle alors de geste. Et comme il s’agit de la pensée, Alfred Binet, l’inventeur du QI, introduisit le terme de geste mental vers 1902. Dans les années 1970-1980, le philosophe Antoine de La Garanderie effectue ses recherches en phénoménologie de la connaissance. Pour expliquer sommairement, la phénoménologie se base sur des vécus de conscience. D’où l’idée de James Liu que le taoïsme est une phénoménologie du corps : en effet, dans toutes les pratiques taoïstes, nous cherchons à prendre conscience de notre corps et de qui s’y passe, notamment avec le ressenti proprioceptif.

Si nous revenons à la phénoménologie de la connaissance, c’est une branche de la philosophie qui s’appuie sur les vécus de conscience de ce que nous faisons lorsque nous connaissons quelque chose. La Garanderie effectue ses recherches dans ce domaine. Il établit que tous les gestes mentaux sont une combinaison de cinq gestes mentaux élémentaires : l’attention, la réflexion, la compréhension, la mémorisation et l’imagination. Ce philosophe est également un pédagogue soucieux d’efficacité. Il montre, au cours de diverses publications, que les définitions habituelles de la psychologie de ces cinq gestes sont approximatives. Il propose donc pour chacun une définition opératoire, dont le succès est démontré depuis cinquante ans dans la pratique de classe, de la maternelle à l’université.

Décrivons rapidement ces gestes mentaux.

Chaque geste mental comporte un aspect mis en lumière, l’action, et un aspect qui reste souvent dans l’ombre, la direction donnée au geste, ce que Husserl nommera l’intentionnalité et Heidegger le projet, et ce que nous appellerons ici l’objectif.

  • Attention
    Que faisons-nous pour être attentifs ?
    Nous intériorisons ce que nous captons par les cinq sens : ce sera l’objectif, rendre présent le monde extérieur.
    Comment l’intériorisons-nous ? Grâce à un support de pensée, visuel ou sonore.
    En résumé
    Être attentif à quelque chose, c’est l’intérioriser grâce à la fabrication de souvenirs (avec la présence indispensable d’une évocation visuelle et/ou auditive et/ou verbale).
  • Réflexion
    Que faisons-nous pour réfléchir ?
    Lorsque nous réfléchissons sur un sujet, nous cherchons à savoir s’il est conforme à une loi, ou s’il la respecte. Quand je parle de loi, cela peut être une référence, une procédure, un règlement.
    Pour savoir s’il y a conformité, nous allons comparer et identifier.
    En résumé
    Réfléchir sur quelque chose, c’est le comparer à une loi pour savoir si c’est identique ou non.
  • Compréhension
    Que faisons-nous pour comprendre ?
    Nous comprenons quelque chose lorsque cela a du sens pour nous. Pour comprendre, nous cherchons à ce que les choses aient du sens. Nous pourrions dire que l’objectif de la compréhension est de faire du sens.
    Pour trouver du sens à quelque chose, nous allons le comparer avec tout ce que nous savons, autrement dit, notre vécu, nous allons le mettre en lien avec notre être afin de l’intégrer, de l’incorporer, de le prendre avec nous (com-prendre).
    En résumé
    Comprendre quelque chose, c’est le comparer à l’ensemble de notre vécu afin de le mettre en relation avec nos connaissances et de l’assimiler.
  • Mémorisation
    Que faisons-nous pour mémoriser ?
    Ce que nous vivons ici et maintenant, nous le maintenons en mémoire pour un ailleurs et un ultérieur. Nous projetons donc nos connaissances dans l’avenir.
    Pour mémoriser, nous constituons des supports de pensée que nous maintiendrons jusqu’au moment choisi.
    En résumé
    Mémoriser quelque chose, c’est le rendre disponible pour un avenir, en en fabricant un souvenir (avec la présence indispensable d’une évocation visuelle et/ou auditive et/ou verbale).
  • Imagination
    Que faisons-nous pour imaginer ?
    Imaginer quelque chose, c’est apporter de la nouveauté à ce qui est déjà présent, c’est créer du neuf.
    Pour savoir si nous créons du neuf, nous allons le comparer avec ce qui va devenir du vieux, une référence que nous voulons prolonger, détourner ou combiner.
    En résumé
    Imaginer quelque chose, c’est le comparer à ce qui existe déjà pour le prolonger, le détourner, le combiner afin de créer du neuf.

4. La correspondance habituelle entre “cinq éléments” et “psychisme” et la nouvelle

Maintenant les cinq gestes mentaux de base établis, regardons leur correspondance avec les cinq mouvements élémentaires. Dans la littérature européenne, on trouve généralement les traductions imprécises, et surtout non opératoires, de la psychologie habituelle.

Revisitons-les.

Terre

La terre est au centre. Le geste mental au centre est l’attention.

La terre reçoit les semailles et produit les récoltes : c’est l’attention qui permet la collecte du matériel mental et son mûrissement.

Les propriétés de la terre sont : transport, production et transformation.

Dans le geste d’attention, le transport s’effectue du contact sensoriel avec l’extérieur jusqu’à la production d’une image mentale grâce à l’intentionnalité, le yi 意.

La transformation sera l’évocation et la production sous l’égide du projet.

Faisons un schéma avec les deux niveaux de conscience, de l’extérieur et de l’intérieur.

Nous aurons :

transport : contact sensoriel et projet ascendant

production : évocation

transformation : production

Le tout se fait sous l’égide du projet, le yi.

Pourquoi La Garanderie a préféré le terme de projet, introduit par Heidegger, plutôt qu’intentionnalité. C’est qu’avant le jet, il y a le pro-jet.

Métal

on dit du métal qu’il est malléable et peut se transformer (Propriété : malléable et rigueur)La réflexion est à la fois malléable et rigoureuse. La malléabilité fait écho à la flexion de la réflexion. La réflexion comme premier geste en communauté (cf. Pédagogie de l’entraide) renvoie à la structure communautaire du métal. À la fois pour chaque métal seul, il y a une structure communautaire (mise en commun des électrons libres) (dans le métal un mystère d’amour repose),

à la fois tous les métaux peuvent se mélanger entre eux.

Eau

on dit de l’eau qu’elle humecte et descend (Propriété : humecter, mouvement vers bas et stagner.) Comprendre, c’est prendre avec soi… notre corps étant essentiellement formé d’eau, cela correspond… on baigne dans sa compréhension…

Que fait quelqu’un qui comprend… Comment mimer quelqu’un qui comprend… en faisant des mouvements vers le bas.

Bois

on dit du bois qu’il peut fléchir et se redresser (Propriétés : croître, fléchir, se redresser) La mémorisation se fait à la fois vers le passé et vers le futur : elle se fléchit et se redresser. Dans le même, la mémorisation permet un redressement de la conscience. Cf. mémorisation comme activité première préconisée pour redresser l’estime de soi des élèves en souffrance.

La mémorisation s’enracine dans le passé et se lance dans le futur. Comme la mémorisation qui fait que passé, présent et avenir sont en même temps, l’arbre en lui-même est passé par ses racines et futur par ses branches.

Feu

on dit du feu qu’il embrase en montant (Propriété : réchauffer et s’élever) L’imagination peut avoir un côté dévorant et captivant comme le feu : l’imagination fait feu de tout bois. Que fait quelqu’un qui vient de découvrir quelque chose ou d’inventer quelque chose ?…

Il sautille, il fait des bonds… il s’embrase en montant.

Nous pourrions vérifier cette correspondance avec sept cycles différents  : d’engendrement, de domination, d’oppression, d’outrage, des nomades, des sédentaires, de l’Empereur, et nous verrions que cette correspondance est fonctionnelle.5. Conclusion

Elle me permet lors d’un accompagnement pédagogique, en entretien pour remotiver, en coaching pour une gestion du temps ou de l’énergie, d’élargir considérablement le champ de ma prise d’indices.

Nourriture, etc. ont ainsi leurs équivalents cognitifs.

Je me sers d’un principe fondamental : l’homéostasie. Notre être recherche toujours l’équilibre, et va le trouver en agençant comme il peut les trois niveaux de base : organique, affectif, intellectuel, sans parler des niveaux sexuel et spirituel.

Je regarde ensuite par rapport aux profils types énoncés par la théorie les écarts et interroge la personne sur ces écarts. C’est un gain de temps considérable dans l’accompagnement.

Je peux également proposer des exercices à faire pour rééquilibrer, sur chacun des trois champs : organique, affectif, intellectuel, et selon l’âge et les attentes de la personne, également sexuel ou spirituel.

Le champ d’action est ainsi décuplé.

Et pour terminer, je vous parlerai de mon dernier champ de recherche avec une université espagnole.


• Vous pouvez retrouver l’auteur de cet article sur son site :
Réussir à vivre autrement.


Rubrique :

EPS – Proprioception

Étiquettes :

acupuncture, appui corporel, arts martiaux, Canaries, énergétique, évocation, gestion mentale, MTC, noématique, Platon, qigong, tao-yin, tchi-kung, Tenerife


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1 réflexion sur “Correspondances entre la pensée et le corps”

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