À en croire certains, il existerait des opposants. Des êtres singuliers dont le malin plaisir serait de nous contredire. Comme nous ne pouvons pas excommunier en gestion mentale (excommunier : expulser d’une communauté de fidèles et condamner à l’enfer), tout au plus jeter un anathème (anathème : acte de réprobation par lequel on exclut une personne après l’avoir soumise à une très grande honte publique), que nous ne pouvons envoyer la personne au bûcher qu’en évocation ou tout au plus la vouer aux gémonies (vouer aux gémonies : accabler d’outrages), que pouvons-nous donc décemment faire ?…
Décemment, car l’idéal d’accueil de la gestion mentale nous oblige à reconnaître différentes façon de penser, voire pire, d’être.
Alors, avec notre superbe de professeur, de formateur, de praticien, nous pouvons jeter un mot, un seul mot : « opposant ». Nous pouvons être plus sournois en enfermant subrepticement la personne dans un état « vous êtes opposant ». Qui oserait contredire la parole de l’expert que nous sommes ?…
De la même façon qu’un égoïste est quelqu’un qui ne pense pas à nous, un opposant est quelqu’un qui ne pense pas comme nous (non mais franchement, quel culot ! quelle présomption ! quelle infatuation !).
Les arguments en faveur d’une telle vision (l’existence des opposants) sont simples : dans un (échange de) groupe, il y a toujours quelqu’un qui n’est pas d’accord…
Cela fait frémir… la gestion mentale comme outil de formatage de masse…
Comment maintenir notre liberté face à de tels mythes ? Comment montrer qu’il est naturel, voire même souhaitable, d’avoir des idées différentes sans pour autant subir l’opprobre (la désapprobation, l’humiliation) de nos maîtres, professeurs ou autres experts ?…
D’une part, premier point, l’objectif du dialogue utilisé en gestion mentale : faire, agir, et pour ce faire, trouver une façon adaptée à chacun. Ce que la société, l’école, la vie nous demande, c’est d’être acteur, auteur, de faire ce qui doit être fait (le travail scolaire par exemple). Ce que montrent les travaux d’Antoine de La Garanderie, c’est que pour faire quoi que ce soit, il existe une multiplicité de chemins possibles. Peu importe le chemin, mental, emprunté, l’essentiel est que l’objectif soit accompli (et cela est d’autant plus facile lorsque pour respecter cet objectif nous respectons nos propres besoins cognitifs). Dès le premier jour de formation, telle que je l’anime, je montre que pour réaliser un dessin très identique à celui de son voisin, nous avons chacun fait différemment intérieurement. Il ne s’agira pas de penser de la même façon, mais d’arriver à faire la même chose, c’est-à-dire à faire ce qui est demandé, en dépit de notre diversité. Donc, que certains ne soient pas d’accord sur le chemin mental emprunté, ou sur la description de ces chemins mentaux, qu’importe, il s’agit d’accomplir une tâche. Pas d’opposant à l’horizon.
Mais alors où ?… Dans un brainstorming (une recherche d’idées, une démarche heuristique) ?… S’il s’agissait de rechercher des idées pour établir un travail de groupe, alors là, au contraire, des personnes qui ne seraient pas d’accord sont une grande opportunité pour trouver d’autres pistes, explorer des alternatives, exposer des changements possibles. Là, nous abandonnons étrangement le terme « d’opposant » pour adopter celui de « créatif », terme plus laudateur (élogieux, positif, flatteur). Mais bon, n’exagérons pas, si cet opposant reprend du poil de la bête, il sera toujours temps de changer ce « créatif » en « original », voire pire, en « excentrique ». Suivre une voie originale est risquée, mais poursuivre dans l’excentricité est téméraire… Pas d’opposant ici : des créatifs, avec lesquels on prendra si besoin de la distance avec la dénomination « original » ou davantage encore avec le mot « d’excentrique ».
Mais alors où sont les opposants ?… En vie de groupe ?… S’il s’agissait de définir des objectifs d’une vie en commun, comme des objectifs politiques, alors là, c’est pire pour ceux qui croient en l’existence des « opposants », car ces derniers deviennent absolument nécessaires dans une démocratie ! Mais ceux qui croient en l’existence des « opposants » sont-ils bien à l’aise avec l’idée même de démocratie ?…
En résumé, premier point, pourquoi parler d’opposant quand il s’agit de réaliser la même chose, ou de trouver des idées (différentes par nature de celles déjà existantes) ou de définir des objectifs communs ? Le terme d’opposant s’oppose ici à la diversité cognitive. Il serait plus honnête de parler de ceux qui sont d’accord avec nous et ceux qui ne le sont pas, sans les enfermer dans une étiquette réductrice.
D’autre part, second point, un geste mental étant analogue, semblable, à un geste physique, il contient en lui-même un frein et un accélérateur. Pour exécuter un geste physique, il y a des muscles qui vont dans le sens de ce geste, et d’autres qui freinent l’exécution de ce geste pour lui donner la précision souhaitée. Autrement nous ne pourrions pas marcher à petit pas mais toujours à vive allure. Nous ne pourrions pas caresser mais seulement donner des coups… C’est à cette vision sommaire, qui se réduit en somme à un échange de coups, que nous invitent ceux qui croient en l’existence « d’opposants ». Il y aurait la thèse, et l’antithèse n’aurait pas droit de cité, ni d’existence. L’antithèse serait la marque des « opposants ». Quant à la synthèse, n’y pensons même pas. Sans doute une volonté « d’opposants » dont l’ardeur aurait faibli (et, on le sait, Dieu vomit les tièdes, donc, soyons francs, ce sont des opposants, point). Cette vision primaire rejette donc la réalité de chaque échange : une polarisation entre thèse et antithèse, allant parfois jusqu’à une relation dialectique avec la synthèse.
En résumé, second point, pourquoi parler d’opposant quand le processus naturel de tout échange est de faire apparaître thèse et antithèse ? Il serait intellectuellement douteux d’affirmer que certains se complairaient dans l’antithèse de façon pathologique. C’est pourtant ce qu’affirment ceux qui croient en l’existence des « opposants ».
En clair, les opposants, ça n’existe pas.
Et attention. Si vous n’êtes pas d’accord avec moi, c’est que vous en êtes un !