Réfléchir en histoire

Lors d’une formation en noématique (gestion mentale 2.0), sur le dialogue introspectif, une stagiaire me demande comment nous pouvons exercer le geste de réflexion en histoire.

Réfléchir c’est comparer à une loi pour la respecter

Bien sûr elle connaît mon exemple simple (et faussement simpliste) du « Est-ce que 2+2=5 ? » où la réponse est non (sauf dans 1984 et les périodes dystopiques dont une très récente). Comment faisons-nous pour répondre par la négative ? Nous confrontons l’évocation de la situation (2+2=5) à l’évocation de référence (2+2=4) pour les identifier : ce n’est pas identique, la réponse est non.

Mais, justement, une des faiblesses des formations en gestion mentale réside dans le choix des exemples trop souvent mathématiques, et une des forces de mes formations est que je peux puiser dans toutes les disciplines scolaires. C’est précisément pour cela que cette stagiaire, institutrice (professeuse des écoles), me demande un exemple en histoire. Le voici

Quelle est la norme en histoire ?

Voici ma question : « En 1492, pour son premier voyage, Christophe Colomb trouva-t-il facilement des marins pour l’accompagner dans son expédition ? »
Allez, jouez le jeu, faites une pause dans la lecture pour observer ce que vous, oui, vous ami lecteur, amie lectrice, répondriez. Prenez votre temps. Notez au besoin vos arguments car je vous demanderais ensuite ce qui fait que vous répondez ça (ce que vous aurez répondu).

J’ignore votre réponse mais je me souviens très bien de celles de mes stagiaires. J’en fus surpris. Pourquoi ? Car c’étaient des enseignantes, sans conteste cultivées, et de mon point de vue ouvertes d’esprit. Et malgré cela, leurs réponses me stupéfièrent. Ce fut unanimement un « oui ».

Et lorsque je leur demandais pourquoi, la question interdite en dialogue introspectif que nous remplaçons alors par la tournure qu’est-ce qui fait que…, la réponse fut avec des variantes celle de la curiosité. Eh oui, tel qu’on est, on croit les autres (variante de Tt 1, 15 repris par Balzac) : c’est le principal biais cognitif. Comme ces stagiaires possèdent un esprit curieux, elles imaginent que les autres en sont également pourvus.

J’accueille cependant leurs réponses. Au demeurant, je vais les interroger pour aller jusqu’à une rupture de cohérence nécessaire à une compréhension profonde.

— Si je comprends bien ce que vous me dîtes, Christophe Colomb recruta facilement des marins. Ceux-ci participaient volontiers à un voyage d’exploration.
— Oui.
— Comme Christophe Colomb, ils pensaient découvrir un nouveau chemin pour se rendre en Chine.
— Hum, oui. (petit moment de réflexion) Ah, mais Christophe Colomb pensait que la Terre était ronde et qu’il trouverait ainsi un autre chemin. Mais eux, non. Ils croyaient qu’il y avait des limites.
— D’accord. Et étaient-ils ravis de se jeter dans l’inconnu ?
— Donc c’est le contraire. Christophe Colomb a eu du mal à trouver des marins, car ils croyaient tomber dans le vide.
— Voilà, nous sommes plus proches de la vérité historique.

Réfléchir en histoire, c’est se confronter à la référence historique du moment : quelle est la base de données des gens de l’époque.
Avant la découverte de l’Amérique en 1492, personne ne voulait accompagner Christophe Colomb dans son périple car dans la vision de référence des gens, ce voyage est insensé, et mortel à coup sûr une fois franchies les limites du monde.
Après la découverte de l’Amérique en 1492, tout le monde (j’exagère) voulait accompagner Christophe Colomb, tout du moins, on se bouscule pour être recruté car la vision de référence a changé : il y a un nouveau monde à explorer où l’on peut faire fortune.
La date 1492 est une date charnière, comme (presque) toutes les dates en histoire : elles séparent deux représentations (modèles) du monde. Une date historique est une mise à jour de la base de données sur un sujet.

Réfléchir en histoire

Réfléchir en histoire nécessite de s’interroger sur la vision du monde des acteurs du moment : comment les gens de telle époque voyaient-ils les choses ? Et c’est cette vision qui fait référence.

Plus simplement, je pourrais demander si les Romains de l’Antiquité roulaient en automobile. La réponse serait non car historiquement l’automobile fut inventée après. La matière « histoire » permet de découvrir cette dichotomie (système binaire) avant-après, et parfois d’aller jusqu’à un système ternaire : avant-pendant-après. La matière « géographie » elle, fait découvrir la dichotomie ici-ailleurs. Nous pouvons dire en noématique que l’une fait découvrir le temps et l’autre l’espace.

La réflexion en histoire nous permet de donner de la place au temps

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