Il arrive d’être assailli par la peur, n’importe quelle sorte de peur : peur de l’échec, peur du rejet, peur de la douleur… Certains films peuvent aider à nous préparer à cet affrontement avec ce sentiment atavique (qui remonte à nos lointains ancêtres), et comme les tragédies antiques, jouer un rôle cathartique (qui produit une action libératrice). C’est ce qu’a réussi le réalisateur Fred Zinnemann dans son film Le train sifflera trois fois (High noon). Il transforme le western en pièce classique où le héros est pris dans un dilemme cornélien, c’est-à-dire une situation où il perdra soit la vie soit son honneur. Nous sommes donc très loin ici des westerns en couleurs avec un monde en noir et blanc, les gentils d’un côté et les méchants de l’autre (système binaire). Est-ce pour cela que le réalisateur choisit de faire un film en noir et blanc avec un monde complexe, je ne saurais le dire.
Autre procédé génial, l’action se déroule en temps réel, avec aucun ralenti ni retour en arrière (comme la série 24 heures chrono avec Jack Bauer) : la peur augmente ainsi de minute en minute.
Enfin, au-delà du thème de la complexité et celui de la peur, parce qu’il fut réalisé en plein maccarthysme (inquisition anticommuniste), le film interrogea également les citoyens américains de l’époque sur leur courage face à une injustice (Jane Elliott pose la même question dans sa formation Yeux bleus – yeux marron), ce qui ne plus pas à tout le monde…
Nous verrons plus bas comment nous pouvons traiter la complexité à l’aide de l’énergétique chinoise ou de la noématique et sa structuration des gestes mentaux.
Le temps passe, la peur monte et tout le monde vous abandonne
L’histoire semble bien commencer. Le shérif Bill Kane se marie avec la charmante Emma Fowler. La toute nouvelle épouse, profondément non-violente (elle est quaker), a réussi à convaincre son tout nouveau mari de renoncer à son poste, et d’aller construire une nouvelle vie ailleurs. Le shérif n’y voit aucun inconvénient : grâce à lui, la ville a retrouvé son calme et sa dignité, surtout depuis qu’il a arrêté Frank Miller, en prison pour longtemps. Mais, patatras, il vient d’être libéré et arrivera, peut-être, par le prochain train pour se venger. Tout le monde conseille à Bill Kane de partir puisqu’il n’est plus shérif. Ce qu’il fait avant de revenir pour affronter le bandit. Mais il pensait que tout le monde le soutiendrait et les uns après les autres, à part un gosse de quinze ans, tout le monde l’abandonne, même son associé Hervé (Lloyd Bridges), son ancienne amante Helen Ramirez (Katy Jurado), et jusqu’à sa femme.
Devra-t-il faire face seul à l’adversité ?…
Le film fut un tel succès que son titre devint une expression en anglais.
Le titre original joue sur le double sens de l’expression high noon, qui, au sens propre, signifie « midi pile », mais au sens figuré, désigne l’« heure de vérité ». Après le film, to be high noon est devenu une expression courante, signifiant « être complètement seul avec de gros problèmes ».
Wikipédia, article Le train sifflera trois fois
La lâcheté sociale cause de l’injustice
Bien sûr, avec ce film, Fred Zinnermann s’en prend aux procès brutaux du maccarthysme, et au déni de justice que subirent les victimes innocentes. À l’époque, les médias relayaient la propagande anticommuniste, et il suffisait que vous soyez soupçonné(e) de communisme pour que tout le monde vous tourne le dos. Heureusement, ce genre de comportements lâches des braves gens effrayés par les médias a disparu de la société américaine ou française, comme nous l’avons bien vu au début des années 2020…
Un système quinaire (à 5 acteurs majeurs)
Pour affronter la complexité, nous pouvons utiliser la méthodologie suivante :
– combien y a-t-il de protagonistes majeurs dans l’histoire ?
– quelles sont les relations de ces protagonistes ?
Partons de l’idée qu’il y a cinq protagonistes majeurs : le shérif, sa femme, son ancienne amante, l’associé qui se trouve être le nouvel amant de l’amante, et le bandit qui se trouve être l’ancien amant de l’amante. Cela plante déjà le décor et la trame possible de l’histoire.
Nous pouvons utiliser ce que j’appelle les systèmes, et utiliser un point de vue phénoménologique, connu soit comme relevant de l’énergétique chinoise, soit comme relevant de la noématique (ou dans sa version de base, la gestion mentale).
Avec cinq protagonistes, il s’agit d’un système quinaire (adjectif pour cinq), comme les cinq « éléments » (xing = mouvements élémentaires) ou les cinq « gestes mentaux élémentaires » (dont la noématique montre la structure).
Identifier qui est qui : correspondances entre acteurs et éléments/gestes
Métal/réflexion ou le tranchant de la loi
L’acteur principal, Bill/William Kane (Gary Cooper), est un shérif. Il fait respecter la loi (métal/P2) grâce à son revolver (en métal qu’il a le droit de porter). C’est le gardien de la loi et il tranche. Je l’identifie au métal et au geste de réflexion. Nous avons ainsi la problématique de l’histoire : la référence (P2) a changé, que faire ? Modifier ses convictions, sa base de données, ce qui fait référence, en prenant en compte les nouvelles données du réel, ce qui est la démarche du pragmatique. Ou bien modifier le réel en le faisant entrer coûte que coûte dans ce qui fait loi, ce qui est la démarche du théoricien.
Bois/mémorisation ou la souplesse de se projeter dans l’avenir
L’actrice principale, Emma/Ammy Fowler Kane (Grace Kelly), vient de se marier au shérif. Tout en l’invitant à rester fidèle à son passé, elle l’invite à vivre un nouvel avenir en étant flexible. Je l’identifie au bois et au geste de mémorisation.
Eau/compréhension ou la fuite de l’absurde pour demeurer quelqu’un de sensé en restant dans le courant de la vie
Helen Ramirez (Katy Jurado), l’ancienne amante du shérif, vent le saloon débit de boissons qui accueillait tout le monde : il est absurde de rester dans cette ville où le bon sens est parti. Elle fuit dignement pour rester dans le courant de la vie et maintenir son intégrité. Je l’identifie à l’eau et au geste de compréhension.
Terre/attention ou le petit empereur pas encore empereur
Hervé/Harvey Pell (Lloyd Bridges), le nouvel amant de l’amante, croyait être le centre d’intérêt de tout le monde : du shérif, de la ville, de son amante. Mais il est trop jeune et se comporte comme un enfant gâté qui attend que tout lui arrive. Il n’est pas encore assez mûr pour être attentionné aux autres, faire attention à sa place et porter attention à son environnement, même s’il aspire sincèrement à tout cela. Je l’identifie à la terre et au geste d’attention.
Feu/imagination ou le retour de flamme du rebelle délaissé
Frank Miller (Ian MacDonald), l’ancien amant de l’amante, est le rebelle délaissé. Une bonne partie de la ville s’amusait avec lui, mais il a été exclu par le shérif qui l’a mis en prison, aux fers ?, et il revient se venger (il va lui en cuire à ce shérif). J’identifie le rebelle au feu et au geste d’imagination.
Voir l’histoire comme une interaction entre les différents éléments/gestes
L’imagination-feu s’était acoquinée avec la compréhension-eau, mais cela faisait désordre. L’imagination-feu sort du cadre de la loi-P2. La réflexion-métal intervient et envoie l’imagination-feu en prison derrière les barreaux (en métal, nécessaire au respect de la loi). La réflexion-métal et la compréhension-eau travaillent alors ensemble. Mais avec le temps, leur duo s’arrête. La réflexion-métal préfère se marier définitivement avec la mémorisation-bois qui promet de déployer un avenir radieux. La compréhension-eau se rabat alors pour un duo avec l’attention-terre mais lui reproche d’être un peu boueux. L’attention-terre rêve qu’elle est déjà grande, qu’elle a achevé sa croissance et qu’elle peut prendre la place de la réflexion-métal, de faire régner l’ordre et la loi. Tout pourrait bien se passer dans ce monde rêvé où l’imagination-feu fut bannie. Mais elle revient avec un train d’enfer qui sifflera trois fois. Panique à bord. La réflexion-métal s’échappe avec la mémorisation-bois, tandis que l’attention-terre croit prendre la place de la réflexion-métal. Mais la compréhension-eau remet l’attention-terre à sa place : tu accueilles beaucoup trop tout ce qui vient, tu ne peux pas trancher. La réflexion-métal se re-saisit en coupant l’initiative de la mémorisation-bois. Elle croit pouvoir trouver des alliés pour s’opposer à l’imagination-feu, mais elle ne devra compter que sur ses propres forces. Au dernier moment la mémorisation-bois tire dans le dos de l’imagination-feu, ce qui permet à la réflexion-métal de vaincre. Seule l’attention-terre reste, la compréhension-eau est partie, la réflexion-métal et la mémorisation-bois s’en vont, l’imagination-feu est morte. Il ne reste plus qu’une désolation prête à tout accueillir, sans valeur de références ni nouveauté. Ce qui reste a rejeter à la fois les valeurs anciennes dont la réflexion-métal est le garant, les valeurs nouvelles promues par l’imagination-feu, sa place au monde avec la compréhension-eau, et sa projection dans l’avenir apportée par la mémorisation-bois. Il reste une attention-terre prête à tout accueillir sans le discernement de la réflexion-métal et le concours des autres gestes.
Cinéma
Le film reçut diverses récompenses et la Bibliothèque du Congrès (bibliothèque nationale américaine) le considère comme partie du patrimoine national.
La page Wikipédia relève trois éléments visuels récurrents :
- « le plan fixe sur la voie ferrée, qui signifie la menace attendue » ;
- « le parcours désespéré du shérif cherchant de l’aide dans toute la ville » ;
- « les horloges, de plus en plus grosses à l’image et de plus en plus fréquentes au fur et à mesure que la menace se rapproche ».
Mots-clés
Genre
#western #drame #tragédie
Public
#>7
Titre
FRA Le train sifflera trois fois, ITA Mezzogiorno di fuoco, ANG High noon, TCH V pravé poledne
Scènes violentes
#fusillade
Mais ce sont des fusillades comme dans les jeux d’enfants : la personne touchée tombe et meurt sans effusion de sang.
Dossier
#violence #peur
Thème
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