Un jeune étudiant, un de ceux surpris d’avoir eu son bac, s’étonne de voir que je connaisse des dates historiques que, lui, n’arrive pas à apprendre (ni mémoriser, ni comprendre).
– Mais comment faites-vous ?
– Je pars du principe que bien sûr je vais mémoriser ce que j’entends, je lis, je regarde.
– Ah oui, moi c’est le contraire.
– C’est-à-dire ?
– Je pense que je ne vais pas mémoriser ce qui ne m’intéresse pas. Ou que c’est trop à apprendre.
– Cela ne vous intéresse pas, ou bien est-ce une excuse derrière laquelle vous vous retranchez pour ne pas faire l’effort de mémoriser ?…
– Mais mémoriser ça devrait se faire tout seul !
– Vous confondez ici différents sujets : comprendre et mémoriser, enfance et adolescence, cerveau et conscience, entre autres choses.
– Ah bon.
– Mais cela fait déjà un moment que nous travaillons ensemble, ce n’est pas notre premier entretien. Aussi je vais vous livrer un secret. Si je mémorise facilement, c’est que je sais que je ne sais pas, loin de là. Aussi j’ai toujours soif de savoir. Les choses se font toutes seules comme vous dîtes. Si au contraire je mettais en avant toutes mes connaissances, je pourrais être suffisant. Dans ce cas, comment apprendre quelque chose de nouveau quand on pense déjà tout savoir ? C’est beaucoup plus difficile.
– C’est une blague : comment pouvez-vous croire que vous ne savez pas, vous connaissez déjà tant de choses.
– Non, c’est très sérieux. Plus on connait de choses, plus on s’aperçoit qu’il y a encore tout un monde à découvrir et explorer, tant de choses à inventer et à faire, tant d’actions à mener, tant de gens à rencontrer. Cela permet de garder l’esprit frais. Au contraire, croire que l’on sait, c’est s’enfermer dans son savoir, le cloisonner et le laisser croupir, s’isoler du monde, vivre dans la suffisance de soi. Et quand le monde frappe à notre porte, il le fait toujours, nous sommes bien embêtés d’être obligé d’ouvrir notre porte ou notre fenêtre sur l’extérieur. Nous devons alors déployer une énergie immense pour accepter que nous devons apprendre. Et cet apprentissage nous demandera beaucoup d’énergie.
– C’est aussi simple que cela.
– Oui, l’attitude d’esprit donne le ton, et le reste suit. Si vous vous imaginez au-dessus de tout, apprendre quoi que ce soit vous oblige à vous baisser. Si au contraire vous imaginez la connaissance plus grande que vous, vous n’avez qu’à vous tenir debout sous elle pour la comprendre : elle coule de source, elle tombe comme une pluie de printemps sur une terre assoiffée. En anglais d’ailleurs comprendre, c’est se tenir debout — stand — dessous — under : understand.
– Je vais y réfléchir…
Ce jeune illustre un des défauts de sa génération : la suffisance. Comment admettre son ignorance ou sa faiblesse quand une cour d’amis vous admire sur les réseaux sociaux ?… Quand il suffit de cliquer pour trouver une erreur dans le discours d’un prof ?
C’est le même défaut en dialogue pédagogique : si nous croyons tout savoir de l’autre, qu’apprendrons-nous de lui ?… Si au contraire nous admettons notre inévitable ignorance, notre écoute sera guidée par ses paroles. Sa cohérence interne nous apparaîtra avec toujours plus de clarté sans les ornières de nos préjugés.