Les enfants chapardeurs

Comment l’harmonie fut perdue… et comment la retrouver !

Les enfants chapardeurs

Résumé :
L’enfant a trois séries de besoins, chacun géré par un étage du cerveau. Tout pourrait sembler bien rangé, mais chaque série de besoins vole de l’énergie aux autres alors qu’une harmonie est nécessaire à un plein développement de la personne. Les choses se compliquent à l’adolescence avec l’émergence de deux autres séries de besoins : les besoins sexuels et les besoins spirituels, qui tous deux nécessitent l’existence d’un Autre. En plus du vol d’énergie entre ces différents besoins toujours plus nombreux, un nouveau piège surgit : celui de réduire cet Autre, qui est un être (niveau « corps » des sept niveaux de compréhension) à l’état de chose (niveau « objet » des sept niveaux de compréhension) : objet sexuel ou idole.

Conséquence : en plus des contrecoups physiques et affectifs, la victime d’une agression sexuelle peut également être impactée au niveau cognitif, d’une part en accentuant un vol d’énergie d’un besoin vers un autre, d’autre part en entretenant une confusion entre différents niveaux de compréhension et bloquant ainsi la montée et la descente de l’échelle de compréhension.

Que faire ? La première façon de se prémunir d’un risque demeure sa connaissance.


Un de mes élèves de 14 ans vient de subir une agression sexuelle. En plus des conséquences connues, quelles sont celles méconnues sur le plan cognitif ou noématique ? Pour les expliquer, petit détour par le fonctionnement du cerveau.

Trois séries de besoins chez l’enfant

Chaque étage du cerveau1 gère une série de besoins2. Le complexe reptilien les besoins organiques, le système limbique les besoins affectifs, le néo-cortex les besoins intellectuels. Avoir faim, c’est un besoin organique. Se sentir aimé, c’est un besoin affectif. Savoir réparer un vélo, c’est un besoin intellectuel.

Conscience de la finitude de nos ressources

Vous l’avez peut-être remarqué, notre quantité d’argent est limitée, notre temps aussi, et notre énergie également3. À un moment donné, notre porte-monnaie est vide, il faut partir et nous sommes épuisé4.

La répartition des ressources comme marque de notre personnalité

La difficulté persistante sera donc d’alimenter correctement chaque série de besoins.

Car chaque besoin consomme de l’énergie. Alors comment faire pour que chacun mange à sa faim ?… Nous pouvons donner la même quantité à chacun mais c’est très compliqué au début de la vie. En réalité, nous avons des préférences. Par exemple, l’homme d’action (ou bien sûr la femme d’action !) donne plus d’énergie aux besoins organiques, l’artiste aux besoins affectifs, et l’intellectuel… aux besoins intellectuels !

Nous distribuons l’énergie à chaque besoin comme bon nous semble, cela sera la marque de notre personnalité.

L’idéal est d’harmoniser les différents besoins

Bien sûr, nous pouvons croire qu’il est possible de distribuer l’énergie équitablement. Mais un idéal est difficilement atteignable sans entraînement. Alors qu’arrive-t-il en vrai ?…

Chacun vole de l’énergie aux autres : métaphore des enfants chapardeurs

Pour le comprendre, imaginons que nous avons trois jeunes enfants agités, assis en rang à table. Nous leur avons fait des frites, leur plat préféré. Et, oui, avouons-le, même si nous aimons les trois, nous avons notre petit préféré. Malgré cela, nous décidons d’être juste et nous partageons équitablement les frites. Que se passe-t-il ? À peine les trois assiettes de frites sont-elles posées que l’enfant de droite essaie de piquer une frite dans l’assiette de son voisin, qui se tourne pour l’empêcher de faire, mais comme il tourne le dos au troisième, ce dernier en profite pour lui prendre une frite, etc.

Les trois enfants ne cessent de chahuter et de se prendre des frites les uns aux autres. Votre volonté de partage aura été vaine. Mais, me direz-vous, il pourrait arriver que chacun réussisse à chiper aux deux autres la même quantité que ce qu’on lui a pris et alors, chacun se retrouve à la fin avec le même nombre. Peut-être… mais à quel prix ! Vous vouliez passer un moment agréable et l’agitation, le bruit, les disputes, ont tout gâché. Au lieu d’un bon souvenir, vous avez eu droit aux pleurs et aux cris.

Alors que faire ?… Surveiller les trois enfants pour que chacun se tienne correctement. Mais dès que vous baissez la garde, le cirque reprend.

Sans une extrême attention, répartir équitablement l’énergie est un rêve5.

La moindre baisse de vigilance entraîne des vols d’énergie entre les besoins, avec à chaque fois des déperditions.

Ce sera l’intellectuel qui oublie le terrain de l’action, qui échafaudera de grands rêves sans jamais rien accomplir. Ce sera l’artiste qui maudira la Terre entière de ne pas reconnaître son génie. Ce sera l’homme d’action qui devient une brute en fonçant sans réfléchir. Le manque d’attention aux diverses séries de besoins engendre un déséquilibre préjudiciable chez la personne.

De l’importance de l’attention pour nourrir chaque besoin équitablement

C’est pour cela qu’il est très important d’être attentionné à chaque besoin, à pratiquer une inspection (extérieure) pour voir si nous atteignons nos objectifs sans tricher (car tricher c’est détourner l’énergie), à pratiquer une introspection (intérieure) pour voir si nous prenons correctement soin de chaque partie de nous-même, etc.

De l’importance de réfléchir correctement et de comprendre justement les lois

C’est pour cela qu’il faut apprendre à utiliser correctement les choses, à respecter les protocoles, ce qui n’empêchera pas d’en inventer d’autres par la suite !…, et à ressentir que suivre les règles c’est vivre en harmonie avec les autres.

De l’importance de maintenir la vie et la développer : mémoriser et imaginer

C’est pour cela que la vie humaine est compliquée, car il faut veiller à faire grandir chaque partie de nous-même : organique, affective, intellectuelle.

L’adolescence comme passage de trois à cinq séries de besoins

Mais ces trois séries de besoins, c’était quand nous étions enfants. Les choses se compliquent à l’adolescence. Les besoins organiques se séparent en besoins corporels et besoins sexuels6, et les besoins intellectuels se séparent en besoins cognitifs et besoins spirituels.

Les besoins cognitifs sont des besoins de connaissance, donc d’apprentissage et d’expression, car il faut certes recevoir, apprendre, mais aussi donner, s’exprimer. Reflet du vivant, les besoins cognitifs ressemblent à une respiration, où il faut tour à tour inspirer (apprendre) et expirer (s’exprimer).

Les besoins spirituels correspondent à la question de savoir ce que nous laisserons de notre passage sur cette Terre. Avec toute la dimension existentielle que cela représente.

Les besoins corporels comptent parmi eux le besoin de contact corporel, comme la sensualité.

Les besoins sexuels sont les plus puissants car la puissance de la Vie s’exprime à travers eux. Sans sexualité, pas de reproduction7 donc pas de vie !

L’inévitable apparition de l’Autre dans notre monde d’enfant égocentrique

La complexité grandit à l’adolescence où non seulement il faut concilier l’ange (les besoins spirituels) et la bête (les besoins sexuels), en sachant que qui fait l’ange, fait la bête, mais en plus, ces deux besoins ont besoin d’un autre que soi pour être satisfait.

Avec ses trois séries de besoins, l’enfant pouvait vivre replié sur lui-même, croire que le monde tournait autour de lui et pour lui, tout venant à lui. Est-ce pour lutter contre cet égocentrisme délétère que la Vie nous pousse vers les autres ? Que ce soit le coup de foudre ou la révélation, les autres ou l’Autre fait une irruption parfois brutale dans notre vie. L’enfant pouvait se contenter de lui-même, l’adolescent non (et l’adulte encore moins).

Mais a-t-on appris à aller vers les autres ? Que savons-nous d’ailleurs de l’autre ? Nous apprenons fort tard dans notre vie que l’autre… est un autre. Alors que tel nous sommes, nous croyons les autres. Nous sous-estimons donc toujours la diversité, et notamment la diversité des êtres humains.

Satisfaire les besoins sexuels et les besoins spirituels est donc une tâche ardue.

Le piège : la réification8 de l’Autre

Et le piège, car il y en a un, est de vouloir s’emparer de cet autre dont nous avons besoin pour nourrir nos besoins, de se l’approprier comme si c’était un objet. Sans forcément s’en rendre compte d’ailleurs. Nous sommes tellement sûr que l’autre est comme nous, que nous croyons qu’il a les mêmes désirs, les mêmes aspirations, la même vision du monde, etc.

Ce faisant, nous commettons le crime de transformer un être en chose, ce qui est le crime par excellence (le crime ou le péché9, l’erreur, l’immoralité, etc. selon votre système de référence). Lorsque nous sommes victimes de ce crime, non seulement nous pouvons souffrir sur le plan physique selon la situation que notre agresseur nous fait subir, non seulement nous pouvons souffrir émotionnellement car cet agresseur semblait sympathique et il trahit du coup notre confiance, mais aussi nous souffrons sur le plan intellectuel ou cognitif. Car nous perdons sans tout à fait nous en rendre compte notre statut d’être humain pour devenir un objet.

Le risque : une distorsion cognitive

Cette confusion de deux niveaux de compréhension (le « niveau corps » et le « niveau objet ») crée une distorsion cognitive. Notre façon de voir le monde s’est obscurcie, parfois à notre insu. Comme un poison qui se répand, cette confusion entre être et chose sème le trouble dans notre intelligence. (pour les niveaux affectifs et organiques ou physiques, on le savait déjà).

En étant agressé, nous pouvons souffrir physiquement, émotionnellement, mais nous sommes aussi abasourdis de nous voir soudainement privé de notre qualité d’être humain pour devenir ce que nous ne sommes pas, une chose. Car qu’est-ce qui distingue un corps d’une chose ?… C’est la vie ! Un corps privé de vie devient une chose : un cadavre. Du coup, lorsque l’agresseur nous transforme en chose, c’est comme si nous mourions. Or nous sentons bien que nous vivons quand même : une partie de nous meurt.

À nous ensuite de la réanimer, de la ressusciter.

Nous pourrons recontacter plus tard une sexualité et une spiritualité plus vivantes.

« Baiser » ou « faire l’amour » : chose ou être ?

Ces deux besoins nous obligent de trouver l’autre, qui est bien un autre, et que l’on aimerait faire sien. C’est ce qui se passe lorsque le besoin sexuel est correctement nourri : nous ressentons l’autre comme un autre, mais un autre qui devient soi-même, et ensuite le soi-même disparaît dans un nous. Et c’est pour cela qu’avoir une relation sexuelle peut s’appeler faire l’amour, car c’est autre chose que baiser. Quand on baise, l’autre reste un autre, et parfois même il devient un objet, et c’est pour ça que cette expression est vulgaire, car elle nous rabaisse et rabaisse l’autre. Quand on fait l’amour, l’autre devient soi-même et les deux se transforment en un nouvel être, le nous, où on est à la fois soi-même et l’autre sans être aucun des deux, et les deux à la fois. Cela peut sembler bizarre comme formulation : c’est que les mots décrivent en général les choses ou les êtres séparés, dans une relation de dualité : il y a moi et le reste du monde. Or, dans ce genre de situation, justement, il n’y a plus de dualité, il y a une unité. Du coup, l’usage des mots peut sembler bizarre.

L’égoïsme est brisé

Cette unité peut s’éprouver également quand on nourrit correctement le besoin spirituel : on peut découvrir que l’autre malgré toutes ses différences est intérieurement exactement comme nous. Il y a comme une union, il y a une communion, une union commune, une extase. Et l’autre peut être aussi l’Autre, la transcendance, la Nature, Dieu, l’Univers, le Cosmos, la nature de Bouddha, etc., selon votre système de référence. Comme dans une relation sexuelle correctement menée, il y a un abandon total. L’union mystique peut ainsi donner le même visage à ceux qui la vivent que l’union sexuelle parfaite.

Dans les deux cas, l’égoïsme est brisé. Le je, le moi, n’existe plus.

Rejeter et s’approprier, donner et recevoir, abandonner et conserver10

Une agression dite « sexuelle » est-elle sexuelle dans l’intention première de l’agresseur ? Il me semble que c’est tout le contraire. C’est en réalité une conséquence des enfants chapardeurs : le besoin sexuel, ou un autre, vole une énergie qui ne lui était pas destinée et la personne se transforme en prédateur puis en agresseur.

Ici, il ne s’agit plus de s’abandonner, ni même de donner, mais de rejeter l’humanité de l’autre pour s’approprier le corps de l’autre ou la volonté de l’autre, le transformant, crime, en objet. S’approprier, et même pas recevoir et encore moins conserver le souvenir vivant de l’autre en nous (et pas conserver Le Parfum11 de l’autre comme voulait le faire le naïf meurtrier Grenouille, transformant ainsi un être en objet olfactif).

Le tueur est d’abord un criminel, le criminel est d’abord un agresseur, l’agresseur est d’abord un prédateur. Et l’erreur cognitive du prédateur est toujours de confondre l’être avec une chose.

Le remède au niveau cognitif : la conscience

Pour la victime, il s’agira donc de comprendre ce qu’elle a subi : un déni d’humanité, un déni d’altérité, un déni d’identité, un déni de vie. On a violé son droit d’être un Homme, on a refusé d’admettre qu’elle pouvait avoir d’autres pensées, d’autres souhaits que celui de l’agresseur, on a nié son identité car elle n’est pas une extension de l’autre ou un miroir ou un écho de ses désirs, elle a une existence propre, et en la réduisant à l’état d’objet on lui ôte symboliquement la vie.

Il y a donc des accompagnements possibles en ce sens.

Le premier accompagnement demeure la connaissance des risques. Connaître l’existence des enfants chapardeurs permet de mieux s’occuper de ces garnements. Connaître le risque de confusion entre les niveaux de compréhension « corps » et « objet » permet d’assouplir la montée et la descente de l’échelle de compréhension, un des mouvements essentiels de la pensée.

Tous les matins du monde : l’esprit frais de l’adolescent

Quant à savoir pourquoi des hommes plus ou moins jeunes sont attirés par de jeunes adolescents, c’est un autre sujet, même si la raison cognitive est de recontacter la joie de l’esprit frais (dans le modèle des cinq états d’esprit). Un jeune adolescent, à l’aube de la de sa vie autonome, est comme un merveilleux lever de Soleil. Il est plein de l’énergie de l’enthousiasme, qu’il peut communiquer à ceux qui le fréquentent. Mais là aussi, cette énergie peut être victime d’un des enfants chapardeurs. Encore eux…

Frédéric Rava-Reny, © 06/09/2020


1. Sur les trois étages du cerveau, cf. mon article sur le modèle de Paul D. MacLean du cerveau triunique, lisible en ligne à : https://ifep.top/motivation/le-cerveau-triunique-de-maclean/

2. Cette série de besoins diffère du modèle d’Abraham Maslow et encore davantage de la répandue pyramide des besoins.

3. Vous pouvez lire ce passage comme une métaphore de la quantité limitée d’énergie allouée au cerveau, sous forme de glucose ou d’ATP, etc. Quel que soit le support chimique que vous prendrez, il sera toujours en quantité limitée ou finie. Nos ressources sont donc bien limitées au niveau cérébral.

4. Précision orthographique. Ici épuisé est bien au singulier, le nous se référant ici à une seule personne, chacun d’entre nous.

5. Au niveau neurologique, voir le modèle du cerveau modulaire de Michael S. Gazzaniga.

6. La sexualité est donc bien présente comme indistincte de la corporalité dans les besoins organiques : cela rejoint, sans s’y confondre, la théorie de Freud sur l’existence d’une sexualité chez l’enfant, d’une nature différente de celle de l’adulte. Différente, car, selon notre modèle, indistincte.

7. Je tais ici dans le cadre cet article la reproduction asexuée. L’apparition des espèces vivantes au cours du temps (autre façon de dire « évolution »), montre le passage de la reproduction asexuée à la reproduction sexuée, ainsi que le passage de cellules individualistes à des cellules mutualisant leurs compétences. J’adhère au constat de MacLean du sens de l’évolution, de l’égoïsme vers l’altruisme.

8. réification : action (-cation) de transformer (-ifi-) en chose/objet (ré-). Réifier quelqu’un, c’est le considérer comme un objet. Le piège dans la sexualité sera de transformer l’autre en objet sexuel, et dans la spiritualité de transformer l’Autre ou sa compréhension de l’Autre en idole.

9. La paresse qui considère que l’autre peut travailler gratis pour nous, est en fait de l’esclavage. Etc. Les états et les religions réprouvent et condamnent unanimement ces confusions êtres-choses. Cela mériterait un ouvrage…
En attendant, un article en ligne : Les sept péchés capitaux sont-ils cools ?

10. Merci à mon professeur et ami Thierry Borderie pour m’avoir transmis cette précieuse formulation.

11. Le Parfum, Histoire d’un meurtrier, Patrick Süskind



• Vous pouvez retrouver l’auteur de cet article sur son site :
Réussir à vivre autrement.


Rubrique :
Éducation

Étiquettes :

besoins affectifs, besoins cognitifs, besoins corporels, besoins intellectuels, besoins organiques, besoins sexuels, besoins socio-émotionnels, besoins spirituels, échelle de compréhension, niveau corps, niveau objet, sexualité


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