Péché et éducation

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La notion de péché, dans le sens des péchés capitaux, doit beaucoup à Évagre le Pontique.

Évagre distingue huit « logismoi » à la racine de nos comportements qui sont huit symptômes d’une maladie de l’esprit ou maladie de l’être qui font que l’homme est « vicié », à côté de lui-même, en état d’« amartia ».

Jean-Yves Leloup, Praxis et Gnosis d’Evagre le Pontique, ou, La guérison de l’esprit, Albin Michel

Ce sont :

  1. Gastrimargia, devenue notre gourmandise, mais en fait également toutes formes de pathologie orale.
  2. Philarguria, notre « avarice », mais aussi toutes formes de « constipation » de l’être et de pathologie anale.
  3. Porneia, que Jean Cassien traduira par « de spiritu fornicationis », donc la fornication et la masturbation mais aussi toutes formes d’obsessions sexuelles, de déviation ou de compensation de la pulsion génitale.
  4. Orgè, notre « colère », ou toutes formes de pathologie de l’irascible.
  5. Lupè, traduit par Cassien par « de spiritu tristiae », la dépression, tristesse ou mélancolie.
  6. Acedia, l’acédie, la dépression à tendance suicidaire, le désespoir ou la pulsion de mort.
  7. Kenodoxia : la vaine gloire, l’inflation de l’ego.
  8. Uperèphani, traduit par Cassien en « de spiritu superbia », notre « orgueil », mais aussi la paranoïa ou le délire schizophrénique.

Ces « huit symptômes » deviendront les « sept péchés capitaux » et surtout perdront sous l’influence du moralisme le caractère médical de leur analyse.


Après cette présentation des « sept péchés capitaux » dans leur forme originelle, largement empruntée à Jean-Yves Leloup, je vais tenter de tisser un lien avec le péché originel, et étudier la relation avec l’éducation.

La perte de réalité : un abîme dans lequel l’être est précipité

Pourquoi ne faut-il pas mentir ? ne faut-il pas voler ?
Pourquoi la pornographie est proscrite aux adolescents ?
Pourquoi le meurtre est-il condamné ?

Mentir, c’est nier à la réalité son existence.
Si je dis « ce chat est blanc » alors qu’il est noir, je fais exister dans ma tête une réalité qui n’existe pas en lui donnant le statut du réel. Je n’accomplis pas un acte d’imagination, car je donne à cette imagination un caractère qu’elle n’a pas : le statut du réel.
Donc, en faisant vivre un mensonge, je m’éloigne de la réalité des choses.
Hors, cet éloignement qui peut sembler anodin nous entraîne vers une pente dangereuse : il opère un glissement en nous qui aboutera ultérieurement à ne plus distinguer la réalité de ce que nous avons décidé la réalité d’être.
Les menteurs invétérés connaissent bien cet état : ils ne savent plus ce qui est vrai, ce que je nomme réel, de ce qui ne l’est pas, à savoir du réel « mensongé », réinterprété par le mensonge.
Les menteurs se transforment donc en affabulateurs. Ils sentent bien qu’ils ont commencé à perdre pied avec le réel. Aussi, dans un effort désespéré de retrouver une assise dans le réel, au lieu d’admettre « tout simplement » leur mensonge initial, ils vont rajouter du mensonge au mensonge en espérant trouver une destination finale qu’ils ne toucheront jamais. Ils se recréent un monde réel purement imaginaire, purement fictif, basé sur leurs mensonges.
Ils vivent donc décalés par rapport à la réalité.

Aussi, voici une raison plus profonde à mon sens que celle souvent avancée : le mensonge a une utilité sociale. Le mensonge est combattue par une coercition et non par une explication.
Mentir c’est mal : et on donne l’exemple de Pierre et le Loup. On avance des prétextes sociaux : comment vivre ensemble si chacun ment, etc.
Ce sont des positions fondées sur les autres. Mais moi, menteur, qu’ai-je à faire des autres ? Pourquoi condamner le mensonge s’il me permet à moi de m’en sortir ?
La raison sociale avancée est : on a toujours besoin des autres, comme dans Pierre et le Loup.
Mais cela est-il suffisant ? Non, cela ne l’est pas : cela donne au mensonge une place considérable dans la société et la vie de l’individu : il est possible ou autorisé de mentir si cela n’altère pas les relations avec nos proches ou ceux dont nous avons besoin pour vivre.
Les autres sont ainsi ravalées au rang d’objets pourvoyeurs de bien-être. Le positionnement par rapport à l’extérieur n’est pas suffisant.
Certains introduisent la dimension intérieure en créant des dieux vengeurs, des banquiers vigilants, des comptables de bonnes ou mauvaises actions, etc. Pour combattre le mensonge, ce déni de la réalité, on suit la voie de l’imaginaire.
Pourtant, dénier à la réalité son état, c’est se priver soi-même de cette réalité. C’est perdre pied de cette réalité. C’est sombrer inexorablement dans un univers fantasmagorique, au risque finalement de passer à côté de la « vraie » vie, et de la sienne.
Ainsi le mensonge ne trouve donc pas une condamnation extérieure à soi, mais représente bien une perte de réalité préjudiciable à soi-même.

Il en est de même pour le vol. Voler, c’est nier à l’autre son existence. Or l’autre existe. Voler, c’est considérer l’autre à son service, comme son esclave. Cet homme a passé tant de temps à faire telle chose ou à l’obtenir. Je lui vole. Donc je considère qu’il a travaillé pour moi, et pour rien. C’est bien de l’esclavage.
Mais dénier aux autres leur statut d’être humain est un déni de la réalité.
Le voleur perd de la réalité, et petit à petit, finit par vivre dans un univers a-réel où il ne sait plus trop bien où il en est. Il est victime d’une perte de réalité qui est allée croissante et qui engloutit son être. Nous voilà donc bien loin des raisons sociales avancées contre le vol, et des mesures coercitives préconisées contre les voleurs.

La perte de réalité ronge le cœur de l’être qui l’engendre.

La perte de réalité ronge le cœur de l’être qui l’engendre. La perte de réalité refuse de voir ce qui est. Une remarque pour ceux qui m’avanceront le moralisme judéo-chrétien : souvenez-vous que le nom de Dieu, signifie « je suis celui qui est ». N’est-ce pas là une expression de la réalité ?

Il en est de même pour la pornographie. Considérer cet homme ou cette femme comme un objet de sensation, c’est lui dénier la qualité de sujet humain. C’est ne pas prendre en compte sa dimension d’être. Là aussi, c’est une perte de réalité, préjudiciable non seulement à ces humains chosifiés, mais surtout à celui qui s’adonne à ces pratiques.

Dans le même esprit, il me semble possible d’observer les préceptes moraux que la société tente d’inculquer à la jeunesse, en utilisant des moyens coercitifs, et d’y trouver en chaque une perte de réalité préjudiciable

.Juger, c’est déjà pécher

Et le péché originel ? Ce n’est pas comme beaucoup le croient la sexualité, ni d’avoir croqué dans cette malheureuse pomme. C’est bien nous dit la Genèse d’avoir goûté du fruit de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. Or juger que quelque chose est bien ou mal, n’est-ce pas déjà une perte de réalité ? Car les choses ne sont ni bien ni mal : elles sont, tout simplement.

Cela permet peut-être un lien avec l’ignorance définie dans le bouddhisme.

© F. C. Rava-Reny, 29/10/1999


• Vous pouvez retrouver l’auteur de cet article sur son site :
Réussir à vivre autrement.


Rubrique :
Éducation

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