Bonjour…
Tu semblais surpris que l’on puisse deviner autant de choses sur toi avec une phrase ou deux.
Serais-tu surpris qu’avec une goutte de sang on devine si tu es malade ou non, et quelle type de maladie ?
Serais-tu surpris qu’avec une empreinte laissée par un doigt sur un objet on puisse te retrouver ?
Notre monde technique nous a habitué aux pouvoirs de la science : avec un peu on trouve beaucoup.
Pourquoi cela ne marcherait-il pas aussi avec les paroles ?… Ou toute forme de langage ?…
Quand quelqu’un parle, il dit beaucoup plus que ce qu’il imagine.
De même que lorsqu’il marche ou exécute un mouvement corporel, qu’il écrit, qu’il chante, qu’il façonne quelque chose avec ses mains, qu’il dessine. (nous retrouvons ici les six natures de langage)
Mais devons-nous craindre que d’autres puissent deviner qui nous sommes ?…
D’une part, personne ne peut savoir. On peut deviner, plus ou moins juste, mais jamais savoir à la place de l’autre.
D’autre part, quel est le risque ?…
Quand on regarde ce qu’un être humain est capable de faire et ce que « moi, ici et maintenant » je suis capable de faire, bien sûr, on se sent tout petit. Comparé aux plus grands génies de l’humanité, nous sommes encore des enfants. Mais les enfants ne sont-ils pas mignons ?… Ils sont attendrissants, à la fois ignorants et plein de promesses.
Pourquoi sommes-nous comme des enfants ?
Nous ne savons ni parler comme les grands orateurs, ni écrire comme les grands écrivains, ni peindre ou dessiner comme les grands peintres, ni composer de la musique ou en jouer comme les grands musiciens, ni sculpter comme les grands sculpteurs, ni danser comme les grands danseurs…
Ou plus exactement, nous ne le savons pas encore.
Car en chacun de nous sommeille un génie insoupçonné, et le crime n’est pas de ne pas être génial maintenant, c’est de renoncer maintenant à le devenir. À nous de trouver ce que nous saurons faire mieux que quiconque (être nous !), à nous de devenir ce que nous sommes (ce que nous sommes en puissance mais qui n’est pas encore pleinement révélé).
La richesse de l’être humain, c’est de faire émerger les trésors cachés.
Regarde les roses de nos jardins : elles ont toutes les formes et les couleurs. Pourtant elles proviennent de l’églantier, la rose sauvage, et ce sont les hommes qui ont cherché les couleurs dans cette fleur sauvage.
Nous avons à domestiquer notre intelligence comme nous avons domestiqué l’églantier, et gare aux épines… mais elles ne sont pas mortelles. Comme la rose du Petit Prince, les épines sont là pour faire croire à la rose qu’elle est protégée.
Alors que risquons-nous à admettre que nous ne savons pas (encore) ?…
Surtout quand on est encore à l’école, au collège, au lycée ou à l’université ?…
Et une fois que nous serons des grandes personnes, nous saurons, tout simplement, alors restons sereins.
Comment peut-on deviner autant sur nous avec si peu, comme quelques mots par exemple ?…
C’est que celui qui devine a étudié la structure des choses, comment les choses s’organisent, de quoi elles sont composées.
C’est ce que l’on fait dans chaque matière, et aussi dans les matières littéraires. On analyse un texte.
Étudier Rimbaud ou Lamartine ne sert pas à mieux connaître Rimbaud ou Lamartine : cela sert à mieux nous connaître et à mieux connaître les autres, à découvrir les mécanismes de l’influence, les rouages de la compréhension.
Et les grands auteurs nous racontent aussi nous-même. L’adolescent révolté se retrouve chez Rimbaud mais mieux qu’il ne saurait jamais le dire, le parent meurtri chez Hugo, l’amoureux chez de nombreux poètes.
L’étude du langage permet ainsi de mieux comprendre les autres, se faire comprendre des autres, influencer (ou éviter l’influence), et se comprendre.
L’étude du français, et de la grammaire, permet tout doucement de voir apparaître des formes de base, comme si en musique on découvrait tout doucement qu’elles sont (pour la musique européenne) toutes composées de sept notes (ut, ré, mi, fa, sol, la, si… do).
Nous vivons ainsi la plus exaltante des aventures, celle de notre vie.
Rien ne sert de désespérer de ne pas déjà savoir ou maîtriser, chaque chose vient en son temps.
Sachons seulement de façon juste prendre le temps d’accomplir tranquillement le travail qui nous permet d’avancer.