Comprendre et imaginer : un air de famille

Transportons-nous par la pensée dans un parc. Nous y croisons Louis. Ce joyeux bambin gambaderait-il seul ? Non, évidemment. Nous subodorons que sa grand-mère n’est pas loin. Et en effet, l’aïeule de Louis, mamie Suzanne comme il l’appelle, est dans les parages et veille sur sa descendance. Le petit-fils précède la grand-mère, et, d’une certaine façon, l’annonce.

Entre comprendre et imaginer, c’est la même relation : l’imagination devance la compréhension comme le petit-fils devance la grand-mère. Pour comprendre, nous allons faire courir devant nous l’imagination.

  • C’est l’imagination qui va chercher les exemples et les contre-exemples de ce que nous voulons comprendre.
  • C’est l’imagination qui cherche le minimum de points communs entre tout ce qui porte le même nom que ce que nous voulons comprendre.
  • C’est l’imagination qui découvrira ou inventera le nom de que nous voulons comprendre.

Ces trois points :

  • liste d’exemples et de contre-exemples,
  • attributs essentiels,
  • dénomination ou étiquette,

définissent un concept, selon Barth qui reprend l’idée de Bruner. Pour faciliter les choses, en cours, en stages ou en formations, j’ai appelé ça l’approche-concept.

Grand-mère et petit-fils

Résumons : la compréhension serait la grand-mère, et son petit-fils, le geste d’imagination, la devancerait. Tiens, tiens, me diraient mes élèves en énergétique chinoise (MTC, tchi-kung, kung-fu, taïchi, tao-yin, etc.), cela a un air de déjà vu. En effet, fort de ma découverte des correspondances entre les gestes mentaux élémentaires (les cinq gestes identifiés par Antoine de La Garanderie) et les mouvements élémentaires (les wuxing improprement traduits par éléments), j’ai établi que :

  • la compréhension, c’est l’eau ;
  • l’imagination, c’est le feu.

Et en énergétique chinoise, le petit-fils de grand-mère eau, c’est le feu !

Une compréhension tout feu tout flamme

Cela permet de comprendre pourquoi les adolescents ont une compréhension manichéenne du monde. Vous me direz, pas les enfants ? Si, mais l’enfant sait qu’il est faible, aussi il accepte plus facilement d’avoir tort qu’un adolescent. L’adolescent est moins tributaire de l’adulte que l’enfant, il a aussi un plus grand bagage de connaissances de la vie qu’un enfant. Il se laisserait moins convaincre par un adulte qu’un enfant.

Pourquoi pas, me direz-vous, mais pourquoi une compréhension manichéenne ?
C’est que pour comprendre, nous allons utiliser l’imagination en cherchant exemples ou similitudes et contre-exemples ou différences. C’est grâce à cette vision en blanc (exemples) et noir (contre-exemples) qu’une première compréhension pratique (voire même praxique) peut s’établir. La première compréhension est toujours en noir et blanc. Seule une accumulation d’expériences permet de passer au gris, ou mieux, à la couleur !

Et les adultes, me rétorquerez-vous, n’ont-ils pas eux aussi une compréhension à l’emporte-pièce ?
Certes ! C’est que leur compréhension en est resté au premier stade : celui des ados, tout feu tout flamme, brûlant de livrer au bûcher de leur inquisition tout ce qui ne rentre pas dans leur compréhension.

La compréhension commence ainsi par une caricature de la réalité : une dichotomie facile entre méchants et gentils, une vision en noir et blanc, etc. Nous pouvons rester bloqués à ce stade de compréhension toute notre vie ! Et parfois notre réflexion ou notre désir d’action, par nature binaire (agir ou ne pas agir), prendra le pas sur notre compréhension. Pour agir efficacement, ça peut aider de ne pas trop comprendre…

La compréhension enfantine, pire, adolescente, est ainsi très tranchée, et très tranchante. Trois exemples.

Premier exemple : la femme adultère

Je choisis cet exemple car il fait partie de la culture européenne, et est à l’origine de l’expression française « jeter la première pierre ». Il illustre l’inclination des jeunes pour le fanatisme, premier stade de la compréhension. Voyons cela de plus près.

Dans le passage de l’évangile selon saint Jean de la femme adultère (Jn 7:53–8:11), des hommes demandent à Jésus que faire de la femme devant eux, prouvée coupable. Selon la loi, elle doit être lapidée (caillassée diraient nos journalistes ignares). Jésus leur répond : « Que celui qui n’a jamais pêcher lui jette la première pierre. » En clair, que celui qui ne s’est jamais trompé commence à appliquer la peine prévue. Et le texte précisent que ce sont les plus vieux qui commencèrent à s’en aller. Pourquoi ? Parce que l’expérience de l’âge nous fait dépasser le premier stade de la compréhension. Ce sont donc les plus jeunes qui partirent les derniers : non pas qu’ils aient fait moins d’erreurs que les vieux, mais parce que leur compréhension limitée leur donne une vision binaire de la réalité.

Deuxième exemple : le bûcher des vanités

Lorsque le 7 février 1497, pour Mardi Gras, Savonarole veut purifier Florence, qui envoie-t-il chercher dans les maisons bijoux et livres immoraux, miroirs et instruments de musique, tous les objets qu’ils estimaient dangereux à sa (compréhension du premier stade de la) religion ? Des agents de police ? Des membres de l’inquisition ? Non, pire, des enfants. Même Boticelli brûla un de ses tableaux. La jeunesse est plus intransigeante que l’âge adulte : sa compréhension tout feu tout flamme ne saisit aucune nuance.

Troisième exemple : les gardes rouges

Les politiciens et les idéologues le savent bien : les jeunes gens sont non seulement plus manipulables que les vieux, mais ils commettent des excès plus facilement !

Cela n’a pas échappé à Mao dont le pouvoir lui échappait des mains comme une savonnette. En 1966, il donne des armes aux jeunes, les proclament « Gardes Rouges », leur dit que la patrie est en danger et qu’ils doivent lancer une Révolution culturelle. Résultat : dix ans de guerre civile, entre des centaines de milliers et des millions de morts.

Nous pourrions multiplier les exemples, entrer dans des polémiques oiseuses (et d’actualité en plus : remplacer patrie par planète, et armes par idée de manifester les seins nus, et vous trouverez un parallèle avec la jeunesse française), notre propos s’en trouverait renforcé : le premier stade de la compréhension est caricatural. Il est l’apanage des premiers âges de la vie, et c’est aux ressortissants de cette période de l’existence que l’on tolère ces excès, car, comme on le dit en français : il faut que jeunesse se passe !

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut