Évocation et mouvement

2ème version du 24/06/2012. Version originale : 28/01/2007

Très tôt dans l’histoire de la Gestion Mentale, la question du mouvement et des évocations dites « kinesthésiques » souleva des débats, souvent… mouvementés.
Formations, conférences, réunions de travail entre praticiens sont le théâtre régulier d’échanges sur le sujet.
Cette seconde version du texte, malgré l’apparition des évocations tactiles dans les écrits d’Antoine de La Garanderie, conserve de sa pertinence. Elle recèlera peut-être des lieux communs, signes d’une certaine naïveté juvénile et d’une joie à redécouvrir la simple évidence dont Bachelard soulignait la complexité.

Plan et résumé

  • 1. Émergence d’un questionnement
    La recherche d’une conciliation de deux approches en apparence contradictoires (GM et arts martiaux) génère une question : comment concevoir l’apprentissage d’un mouvement avec l’apport de la gestion mentale ?
    Deux questions peuvent aider :
    A – comment prendre des indices GM sur une activité sportive ?
    B – comment savoir que quelqu’un évoque un mouvement juste en le touchant ?
  • 2. Émergence d’une réponse
    Antoine de La Garanderie rencontre Guy Voyer : le contact physique peut informer de l’état du champ musculaire de l’autre.
    Reste une question : existe-t-il un lien entre l’évocation d’un mouvement et la mise en œuvre musculaire nécessaire à ce mouvement ?
  • 3. Évocation et muscle
    Jacques Dropsy apporte une réponse avec le système nerveux gamma : toute évocation engendre une tension musculaire même infime.
  • 4. L’influence réciproque de la perception et de l’évocation : Huxley évoque et recouvre la vue
    Une tension musculaire engendre-t-elle en retour une évocation ?… Oui dit Aldous Huxley : interaction réciproque entre activité musculaire oculaire et évocation. Mais alors la tête intervient dans l’apprentissage d’un mouvement : comment ?…
  • 5. Les sportifs alternent mouvement réel et mouvement évoqué pour devenir champions
    Que l’on pense un mouvement ou qu’on le fasse en vrai, les zones activées du cerveau sont quasiment les mêmes. Exemple : Jean-Claude Killy, évoque sa descente avant de l’effectuer et son corps est parcouru de mouvements.
  • 6. Communication non-verbale : la piste du visage
    La combinaison des 40 muscles du visage offre de quoi communiquer sans mots. Mais masquer le visage n’empêche pas l’information de passer.
  • 7. Duplessis et les couleurs invisibles
    Yvonne Duplessis : le derme émetteur et récepteur d’informations. Cela pourrait être le vecteur du ressenti de l’autre.
    Sur quoi s’appuie le corps pour être connaissant ?
    Une hypothèse : les points et méridiens d’acupuncture.
  • 8. Un système « nerveux » parallèle ?…
    On croyait les méridiens être de la perception, ils seraient dans l’évocation, un vécu de conscience d’un ressenti corporel.
  • 9. Et la tête, alouette…
    Du coup apprendre un mouvement passe bien par la tête en alliant le corps. Apprendre un mouvement c’est se donner un vécu de conscience de ce mouvement sur un ressenti corporel de ce mouvement.
  • 10. Introduire le ressenti corporel dans le modèle gestion mentale
    Le modèle à trois temps de la gestion mentale : perception / évocation / production peut s’agrandir à un modèle à cinq temps : perception extéroceptive / évocation visuelle ou auditive = évocation extéroceptive / perception proprioceptive / évocation de proprioception / production.
  • 11. Que deviennent les évocations « kinesthésiques » ?
    11.1. Ni premières, ni seules mais ce que l’on recherche pour apprendre un mouvement
    11.2. Un écho physiologique : antériorité de la sensibilité tactile sur les autres
    Plus ancienne, la sensibilité tactile engendre des évocations de proprioception plus profondes que les évocations extéroceptives, donc plus difficilement décelables ou au contraire très prégnantes.
    11.3. Les techniques de saturation sensorielle éclairées
    De nombreuses techniques s’éclairent : elles recherchent un accès direct aux évocations de proprioception. Une fois bien contactées chez soi, on peut les contacter chez l’autre en le touchant ou à distance.
  • 12. Ne manquons pas de cœur : Platon gymnaste
    Le travail corporel permet aussi en le conjuguant avec un travail intellectuel (évocatif habituel) d’accompagner l’apaisement du cœur et des émotions.
    C’est que nous observons depuis toujours lors du stage « Explorer et piloter son intelligence », autrefois à Saint-Affrique et désormais à Bordeaux.

1. Émergence d’un questionnement

Tandis que mes professeurs d’arts martiaux (kung-fu, taï-chi-chuan) me déclaraient qu’un mouvement s’apprend sans que la « tête » y prenne part, mes formateurs en gestion mentale affirmaient le contraire avec la nécessité d’évoquer (dans la tête) pour apprendre quoi que ce soit.

Comment concilier ces deux visions dont je sens que la contradiction n’est qu’apparente ?

D’où ce questionnement : comment concevoir l’apprentissage d’un mouvement avec l’apport de la gestion mentale ?

Deux faits « troublants » jalonnent cette recherche.

L’un se répétait chaque année au stage de Saint-Affrique1. Les professeurs d’E.P.S. (éducation physique et sportive), pourtant formées à la gestion mentale, situaient très bien les élèves sans pratiquer un dialogue pédagogique intensif. Quels indices prennent-elles et comment ?

L’autre se produisit lors d’un travail spécifique en taï-chi-chuan : un professeur arrivait à savoir grâce à un contact physique si j’étais en évocation du mouvement ou non, et cela aisément et à volonté. Comment fait-il ?

2. Émergence d’une réponse

Je commence par rechercher dans la littérature gestion mentale, avec succès.

Dans On peut tous toujours réussir2on retrouve un équivalent où le contact physique informe, dans le portrait de Guy Voyer. Ceinture noire et champion de judo dans sa catégorie professionnelle, Guy Voyer observe avant le combat

« ses partenaires avec la plus grande attention. Avant même de toucher physiquement l’adversaire, Guy Voyer est en contact total avec lui. Il sent les contractions musculaires qui préludent à sa prochaine attaque, anticipe les gestes que la parade impose à la vitesse de la lumière, leurre par l’esquisse d’attitudes aussitôt contredites par l’attaque. L’adversaire ne sait jamais comment l’attaquer. Dans le combat, Guy Voyer jubile : “Cette communication corporelle est de nature orgasmique, on se régale.”3 »

Antoine de La Garanderie, Elisabeth Tingry, On peut tous toujours réussir. Un projet pour chacun, Bayard Éditions, Paris, 1991, p. 77.

Antoine de La Garanderie précise que si Guy Voyer s’est entraîné au raisonnement mathématique « en s’incarnant dans les images des figures, des équations qu’il ordonnait comme il anticipait les gestes à faire pour organiser une descente harmonieuse sur ses skis »,

« notre champion de judo a développé son sens de l’anticipation sur un autre terrain. Quand ses doigts, ses mains contactent le corps de son adversaire, il sent l’esquisse des contractions musculaires qui lui indiquent dans une fraction de seconde quel est son dessein. Alors il a l’image rapide et précise du mouvement qui va suivre, cela lui suffit pour avoir en un éclair la vision de la parade. Mieux : comme il prévoit, aux indices ressentis au bout de ses doigts, l’intention de son adversaire, qu’il y est parvenu en s’entraînant à anticiper les ruses de l’adversaire, en s’ingéniant à les discerner à partir de perceptions tactiles : ses connaissances du champ musculaire de l’homme lui rendaient service. »4

Antoine de La Garanderie, Elisabeth Tingry, On peut tous toujours réussir. Un projet pour chacun, Bayard Éditions, Paris, 1991, p. 88.

Cela ne répond toutefois pas entièrement à notre questionnement. Admettons que le contact physique puisse informer de l’état du champ musculaire de l’autre, il reste à expliquer comment le professeur de taï-chi-chuan rencontré sait par le contact si j’évoque ou non le mouvement. Il faut postuler l’hypothèse d’un lien entre l’évocation d’un mouvement et la mise en œuvre musculaire nécessaire à ce mouvement. C’est ce que va apporter une autre lecture.

3. Évocation et muscle

Jacques Dropsy5 signale l’existence du système nerveux gamma (motoneurone gamma) qui fait la liaison entre les images mentales et les muscles. Il semble bien, dit-il,

« que la pensée aussi soit, en fait, inséparable de certaines manifestations motrices très subtiles. Nous admettrons ici que la vie de la pensée s’exprime par deux instruments différents, dont l’un est le langage intérieur, l’autre l’imagerie mentale. »

Jacques Dropsy, Vivre avec son corps , Édition Épi, 1973, pp. 40-1

Nous pouvons nous hasarder à voir dans « langage intérieur » l’évocation verbale ou auditive et « imagerie mentale » l’évocation visuelle. Or, poursuit Dropsy,

« il apparaît que la pensée verbale entraîne presque toujours, quoiqu’à un degré infime, un travail de l’appareil vocal et particulièrement du système musculaire complexe du larynx. Les laryngophones qu’utilisent les aviateurs permettent, par exemple d’enregistrer et de transmettre des vibrations non sonores de l’appareil vocal, une voix pensée en quelque sorte. »

Jacques Dropsy, Vivre avec son corps , Édition Épi, 1973, pp. 40-1

L’explication se trouve dans le système nerveux gamma, des

« fibres nerveuses de petit diamètre, qui innervent les faisceaux neuro-musculaires. Ces faisceaux neuro-musculaires sont l’organe de la sensibilité proprioceptive dans les muscles. Le système gamma agit comme un « feed back »6 permettant un ajustement mutuel du système nerveux sensitif et du système nerveux moteur. […] ce système agit en relation extrêmement étroite avec les images mentales. Il prépare en quelque sorte, les muscles à faire suivre, sans à-coups, ni hiatus la pensée par l’action correspondante. Si je pense par exemple à un livre placé de l’autre côté de la pièce, le système gamma réalise instantanément une préparation tonique réflexe de la musculature qui me permet d’aller chercher le livre en question. Ces tensions sont, bien sûr, extrêmement petites. »

Jacques Dropsy, ibid.

Pour illustration la finesse que ce contact physique peut procurer, Dropsy donne l’exemple de ces personnes qui se présentent dans des numéros de cirque ou de magie comme des « lecteurs de pensée ».

« (Le) lecteur de pensée (demande) par exemple que l’on dissimule quelque part dans la pièce un objet très petit, tel qu’une épingle pendant qu’il était sorti. Il rentrait, se faisait bander les yeux, puis prenait légèrement la main d’une personne inconnue de lui à qui il demandait seulement de « penser » à l’endroit où se trouvait l’épingle. Après divers tâtonnements dus autant à la difficulté de l’expérience qu’à son art de la mise en scène, il retrouvait immanquablement et précisément l’objet disparu en se fondant sur les infimes tensions musculaires liées à la pensée du sujet. »

Jacques Dropsy, ibid.

Résumons :

A. le contact physique peut renseigner sur le champ musculaire de l’autre.

B. toute évocation engendre une tension musculaire même infime.

Avec une sensibilité affinée, contacter l’autre permet ainsi de repérer ses tensions musculaires, reflets de l’évocation. Il est donc possible en touchant l’autre de savoir s’il évoque le mouvement ou non.

4. L’influence réciproque de la perception et de l’évocation : Huxley évoque et recouvre la vue

Pour trouver le rôle des évocations dans l’apprentissage d’un mouvement, il reste à savoir si une tension musculaire engendre en retour une évocation.

C’est ce que Huxley va nous apporter avec sa description de la méthode Bates dans L’art de voir7. Nous y trouvons ce que nous savons déjà : le projet modifie l’activité perceptive. Qu’un naturaliste traverse une forêt, il évoquera plus de sons qu’un citadin non-averti. Une partie de la méthode Bates repose sur l’efficacité du projet mais également sur une boucle perception-évocation dont nous recherchons la trace. La traduction française utilisera même le terme d’évoqués (!) :

« Considérez des objets de la façon décrite antérieurement : changeant rapidement l’attention d’un point à un autre, suivant les contours de l’objet envisagé et faisant le compte de ses traits saillants. Puis fermez les yeux, relâchez-vous et évoquez l’image mémorative la plus précise que vous avez vu. Rouvrez les yeux. Comparez cette image avec la réalité et répétez ce procédé du regard analytique. Après quelques répétitions, vous constaterez une amélioration dans la clarté et la précision tant de l’image mémorative que de l’image visuelle enregistrée par les yeux ouverts. »

Aldous Huxley, L’art de voir, Petite bibliothèque Payot, 1978, pp. 147-8.

Tout le monde peut faire cette expérience et en vérifier la validité. Huxley décrit un procédé absolument similaire sur des lettres vues : la perception s’affine avec un approfondissement de l’évocation. Il y a ici une interaction réciproque entre activité musculaire oculaire et évocation.

Mais alors la « tête » intervient dans l’apprentissage d’un mouvement : comment ?… Cherchons des éléments de réponse chez les sportifs.

5. Les sportifs alternent mouvement réel et mouvement évoqué pour devenir champions

En effet, pour devenir champions, les sportifs s’entraînent en alternant activité sportive habituelle (en faisant le mouvement en vrai) et travail mental -en s’évoquant en train de faire le mouvement tout en restant immobile).

Les recherches montrent que les zones activées du cerveau sont quasiment les mêmes lors de ces deux activités, motrices ou mentales. Il suffit de voir un skieur, comme Jean-Claude Killy, évoquer sa descente avant de l’effectuer pour voir son corps parcouru de mouvements.

Il y a donc une boucle perception-évocation dans un mouvement, et activer cette boucle sert à l’apprendre. Une personne éduquée à un tact précis peut vérifier que nous évoquons le mouvement ou non. Mais comment peut-on savoir à distance comment une personne évoque le mouvement ?

6. Communication non-verbale : la piste du visage

Car c’est ce que faisaient ces profs d’E.P.S. à Saint-Affrique. Prennent-ils leurs indices sur le visage, lieu d’une communication non-verbale désormais établie ? Les quarante muscles de notre visage peuvent moduler, pense-t-on8, 20 000 expressions différentes. De quoi transmettre nombre d’informations. Mais l’information semble transiter ailleurs. Même avec les yeux fermés ou un masque sur les visages de l’un et de l’autre, les informations continuent de transiter. Le corps possède, selon un professeur de taïchi interrogé, la faculté de « sentir » et « ressentir » l’état d’un autre corps. Il y aurait une communication de corps à corps sans contact physique… Cela peut sembler mystérieux.

7. Duplessis et les couleurs invisibles

Pourtant, des cas de mystères semblables comme la perception de couleur chez les aveugles par le tact, phénomène connu depuis des siècles, trouve des explications rationnelles.

Une piste de recherche se situe dans les capacités de la peau.

Yvonne Duplessis9, et avant elle Jules Romain10, a étudié de façon probante un « nouveau » canal d’information : le derme. La peau se découvre être non seulement un émetteur mais aussi un récepteur de radiations invisibles de l’environnement, l’infrarouge lointain selon les hypothèses les plus probables. Un entraînement adéquat permet de prendre conscience des informations obtenues par le derme, et les sensations de couleurs chaudes ou froides ne seraient plus des sensations subjectives mais bien objectives.
On peut supposer que le derme émet également des signaux qui seraient captés par un autre derme qui convoierait les informations à la conscience : la personne a soudain le ressenti de l’autre.

Ou, partant sur un principe analogique à celui du Dr Tomatis11, le corps peut capter les signaux qu’il émet : cela n’entre pas en contradiction avec le fait que le monde ait vocation à être dans la conscience de l’homme et que l’homme ait vocation d’être au monde.

Ainsi, un profil pédagogique ou une structure de projet de sens se traduirait par la constance d’influx musculaires infimes que le corps de l’autre saurait distinguer et que des personnes entraînées arriveraient à rendre présent à leurs consciences.

8. Un système « nerveux » parallèle ?…

Après lecture de l’ouvrage dirigé par Yvonne Duplessis12, et l’article du docteur CHAI Jianyu sur l’émission du souffle, avec un cas analysé et photographié de communication à distance de ressenti corporel, je formule l’hypothèse d’un rôle des méridiens d’acupuncture dans le processus.

Que sont ces « méridiens » ?…

8.1. On les aurait trouvé en perception…

Les « méridiens » d’acupuncture seraient ces lignes où le « souffle », « l’énergie », le qi prononcé tchi, aussi écrit ch’i, etc. (voir annexe 1 à ce sujet13) circule principalement dans le corps.

La question de l’existence physique de ces méridiens reste discutée.

Pourtant le Dr Stephen Chang cite dans le livre des exercices internes (p.13 et sq.) les travaux du Dr Kim Bong Han de l’université de Pyongyang, Corée du Nord. Selon ce dernier, à l’issue d’une « vaste série d’expériences », les méridiens sont « en fait composés d’une sorte de tissu histologique jusque là passé inaperçu ». La « structure et la fonction du système méridien » serait « complètement différentes de celles du système nerveux, circulatoire ou lymphatique ».

« Les méridiens sont des canaux symétriques bilatéraux d’un diamètre de l’ordre de 20 à 50 millimicrons. Il se trouvent sous la surface de la peau et ont une mince paroi membraneuse remplie d’un fluide incolore et transparent, chacun des principaux méridiens se ramifie en un dédale de branches secondaires, dont quelques-unes fournissent l’énergie aux zones adjacentes, tandis que d’autres atteignent finalement la surface de la peau. Là où les branches atteignent la surface de la peau se trouvent les points illustrés sur une carte d’acupuncture. »
[…] « Après avoir effectué beaucoup d’expériences, les scientifiques ont découvert que les méridiens sont des passages pour l’électricité. Ceci à conduit à l’invention d’un appareil appelé le « détecteur de points » appareil qui indique les points où les branches des méridiens atteignent la surface de la peau. »
« Les méridiens sont des canaux symétriques bilatéraux d’un diamètre de l’ordre de 20 à 50 millimicrons. Il se trouvent sous la surface de la peau et ont une mince paroi membraneuse remplie d’un fluide incolore et transparent, chacun des principaux méridiens se ramifie en un dédale de branches secondaires, dont quelques-unes fournissent l’énergie aux zones adjacentes, tandis que d’autres atteignent finalement la surface de la peau. Là où les branches atteignent la surface de la peau se trouvent les points illustrés sur une carte d’acupuncture. »
[…] « Après avoir effectué beaucoup d’expériences, les scientifiques ont découvert que les méridiens sont des passages pour l’électricité. Ceci à conduit à l’invention d’un appareil appelé le « détecteur de points » appareil qui indique les points où les branches des méridiens atteignent la surface de la peau. »
« Bien que l’on pense que la première preuve scientifique de l’existence du système méridien soit le résultat des efforts du Dr Kim, un témoignage concluant pour l’existence des méridiens fut en fait donné en 1937 par Sir Thomas Lewis d’Angleterre. Son rapport publié dans le Journal médical britannique de février 1937, déclarait qu’il avait découvert un « système nerveux inconnu » qui n’avait aucune parenté avec le système sympathique ni avec le système sensoriel. »

Dr Stephen T. Chang, Le livre des exercices internes, S.I.P., 1984, pp.14-5.

La médecine chinoise connaît et tire avantage de l’existence de ce système physiologique depuis des millénaires, suivie en cela par d’autres médecines orientales.

En résumé, nous avons une machine capable de détecter les points d’acupuncture, et un modèle expliquant la réalité physique des méridiens.

Puisqu’une machine peut détecter les tensions musculaires infimes qu’une main experte peut détecter, pourquoi puisqu’une machine peut détecter des points d’acupuncture une main experte ne saurait le faire ?…

C’est ce que font de nombreuses personnes (médecins, experts en arts martiaux…) en Chine et au Tibet ancien comme l’attestent de nombreux témoignages renouvelés depuis des siècles.

Mais ce qui nous intéressé, c’étaient surtout les méridiens qui entreraient en jeu dans un système de communication de peau à peau. Le Dr Goodheart14, dont les travaux fondent la kinésiologie, a montré le lien entre muscles et méridiens. La kinésiologie comportementale nous apprend, sans surprise, qu’il y a un lien observable entre évoqué et état musculaire. Un travail sur les méridiens, comme proposé en taïchichuan, favoriserait le terrain « physiologique » de l’évocation. (on évoque mieux relaxé que tendu, etc.)

Pour autant, les méridiens sont-ils aussi faciles à repérer que les points d’acupuncture, détectable avec une machine ?

8.2. Ils seraient dans l’évocation…

Justement, non. Aussi Claire Sagnières15 nous invite à renoncer à découvrir aux méridiens « un substratum anatomique quelconque »,

« comprendre qu’ils ne sont que le reflet d’une sensation subjective, d’un fonctionnement spécial du système nerveux. »

Claire Sagnières, L’acupuncture – Mythes et réalités, Editions Médecine et Hygiène, Genève, 1989, p. 37.

Les travaux du Coréen Kim Bongham sont cités avec la critique qu’ils reçurent après l’examen de nombreux histologistes de divers pays : les images du Dr Kim correspondraient à des images de follicules pileux altérés (p.33). L’auteur mentionne d’autres théories qui prêtent au système des méridiens une réalité anatomique comme d’autres qui « les interprètent comme des projections de phénomènes situés au niveau du système nerveux central », comme la théorie de T.N. Lee, selon laquelle les méridiens seraient dessinés au niveau du thalamus, tout comme le système moteur est dessiné dans le cortex (homonculus). (p.33)

Claire Sagnières nous indique (p.34) l’hypothèse qui « semble s’être imposée actuellement » : la connaissance des méridiens viendraient de la description fine des patients à leurs acupuncteurs de ce qu’ils ressentaient (d’où l’absence de méridiens sur les schémas traditionnels d’acupuncture vétérinaire). Ils seraient donc le résultat d’une introspection… une similitude à souligner avec la démarche de la Gestion Mentale.

Nous revoici donc éloigné d’un terrain « physiologique » de l’évocation…

En clair, les méridiens seraient des vécus de conscience d’un ressenti corporel. Rechercher leur localisation serait comme chercher dans quelle zone du cerveau se cache l’évocation. Pour autant, l’évocation et le méridien existent. Ils peuvent produire des faits tangibles, que l’on peut mesurer et constater voire photographier. Évocation et méridien donnent tout deux lieu à des manifestations tangibles sans pour autant se confondre avec ces manifestations.

Au final, il y aurait donc bien un ressenti corporel évocable, qui confère au corps une saveur particulière.

9. Et la tête, alouette…

Le rôle de la « tête » se précise alors doucement : pour apprendre un mouvement, il faudrait certes évoquer visuellement ou auditivement mais aussi évoquer un ressenti corporel. Le corps formerait donc une entité distincte de la « tête » et pas seulement un pantin désarticulé aux ordres d’en haut : il y aurait une saveur spéciale à y trouver.

Aurions-nous alors un modèle duel corps-tête ou bien y a-t-il un troisième terme ?
Le « cœur » existe aussi. Nous retrouvons une ternarité ancienne mais méconnue16 : corps, cœur, tête. Le docteur Paul Donald MacLean renouvelle cette idée avec son modèle du cerveau triunique. Il y a un cerveau avec un complexe reptilien, un système limbique et un néo-cortex. Dit autrement : l’intelligence du corps, l’intelligence du cœur et l’intelligence de la tête.
Pour reprendre ces termes, la gestion mentale cultiverait l’intelligence de la « tête », un art martial comme le taï-chi-chuan développerait celle du corps. La similitude de ces disciplines vient qu’elles reposent toutes deux sur un vécu de conscience d’une part, et sur un projet de considérer la personne dans son ensemble. D’où cette rencontre malgré une apparente contradiction : l’une partirait de la « tête » pour aller vers le « corps », l’autre monterait en sens inverse.

Que deviennent évocations visuelles, auditives (ou verbales) identifiées par la gestion mentale ? Sont-elles nécessaires dans un premier temps d’apprentissage d’un mouvement ? Oui, me répondent les experts de taïchi interrogés. Mais plus ensuite. Il faudrait alors évoquer un ressenti corporel (dit autrement une perception proprioceptive) : d’où l’expression, apprendre un mouvement « sans la tête ». Comment traduire cela en Gestion Mentale ?…

10. Introduire le ressenti corporel dans le modèle gestion mentale

Le premier modèle de la Gestion Mentale est un modèle à trois temps : perception – évocation – production17; souvent schématisé de la façon ci-après18.

Regardons chacun de ces trois temps dans le cadre de l’apprentissage d’un mouvement.

  1. perception
    Je regarde et / ou j’écoute le professeur de sport (d’art martial, de danse, de mime…) expliquer le mouvement de façon orale, écrite ou gestuelle.
  2. évocation
    Je fais exister dans ma tête ce que j’ai vu ou entendu.
  3. restitution / production
    J’exécute le mouvement expliqué par le professeur et évoqué.

On part de l’extérieur (perception de l’explication du professeur) pour intérioriser par l’évocation puis par le mouvement de son propre corps. La perception est de nature extéroceptive. Ce modèle à trois temps considère implicitement que le corps, et son ressenti, comme étant au même niveau que la perception recueillie par les cinq sens. Pourtant quand je contacte un ressenti corporel, ce n’est par l’entremise d’aucun des cinq sens d’une part, et d’autre part mon corps n’est pas entièrement à l’extérieur de moi comme le monde extérieur que je contacte avec les cinq sens.

J’introduis donc un second modèle, un modèle à trois temps dédoublé soit un modèle à cinq temps :

1) perception extéroceptive (les cinq sens)

2) évocation sur des percepts extéroceptifs

3) production (pas qu’à l’extérieur) = construction d’une perception proprioceptive

4) évocation sur des percepts proprioceptifs

5) production du mouvement

Arrivé au cinquième temps, nous pouvons cesser d’accomplir le mouvement. Nous pouvons alors confronter cette production du mouvement avec la perception extéroceptive ou son évocation. Je vérifie, modifie, complète mon accomplissement du mouvement en faisant des allers-retours entre ce le professeur me donne à voir ou entendre et aussi le modèle que j’ai évoqué.

Ainsi, le mouvement ne reste pas centré sur l’extéroceptivité de la « tête » mais se déplace sur le « corps » grâce à la proprioceptivité. Le mouvement ne s’apprend donc pas que dans la « tête », il se vit aussi dans son « corps ».

11. Que deviennent les évocations « kinesthésiques » ?

11.1. Ni premières, ni seules mais ce que l’on recherche pour apprendre un mouvement

Que deviennent les évocations « kinesthésiques » avec ce modèle à cinq temps ? Discutons à leur sujet (en gardant ce terme flou de « kinesthésiques »)19. Antoine de La Garanderie déclare qu’elles ne sont ni jamais premières, ni jamais seules. Ce modèle s’accorde : des évocations « kinesthésiques » correspondraient à l’étape 4, donc ne peuvent être premières, ni seules puisque des évocations sur des percepts extéroceptifs ont été préalablement établies.
Malgré cela, certaines personnes nous parlent de l’importance de leur évocation « kinesthésique ». Quand nous savons que la prégnance des évoqués visuels font souvent obstacle à la prise de conscience d’évoqués sonores (auditifs ou verbaux) pourtant présents, on peut s’interroger sur la prégnance des évoqués « kinesthésiques ». Si par leur prégnance les évoqués « kinesthésiques » sont aux évoqués visuels ce que ceux-ci sont aux évoqués sonores, nulle surprise que ceux qui sont habités par des évoqués « kinesthésiques » leur donne une exclusivité.

11.2. Un écho physiologique : antériorité de la sensibilité tactile sur les autres

Comme ces évocations de ressenti corporel sont plus internes que les évocations visuelles ou auditives, nous pouvons imaginer que dans la croissance humaine, elles apparaissent avant les autres chez le bébé. Cela colle avec le développement sensoriel, l’épigenèse20 de l’être humain, chez qui le sens du mouvement et du toucher est antérieur aux autres.

La sensibilité tactile est le sens qui s’éveille le plus tôt, il se développe à partir du second mois de la gestation : l’embryon réagit lorsqu’il est touché et sensible à la tension des muscles de la mère.

Alain Saury, Un enfant à naître de nous,  Éditions Dangles, 1989, p. 21521

C’est par le toucher que Frans Veldman, inventeur du « contact haptonomique » propose aux futurs parents

« d’apprendre à « prendre l’utérus à pleines mains« , à toucher l’enfant, à le faire réagir doucement et sans le brusquer dans le calme le plus total. »22

Alain SAURY, ibid.

11.3. Les techniques de saturation sensorielle éclairées

Ce modèle à cinq temps explique également les techniques où l’on essaie de saturer les canaux extéroceptifs pour accéder à la conscience « du mouvement par le mouvement ». C’est le pianiste qui jouera le morceau à une folle vitesse, l’élève de taïchichuan qui enchaînera pratique à deux sur pratique à deux,… pour éviter de « mentaliser ». Le but serait d’évoquer directement le percept proprioceptif sans passer par les étapes de perception extéroceptive – évocation sur ces percepts. Nous retrouvons ici un parallèle avec « être attentif » et « être attentif à son attention ». Nombre de personnes pensent qu’elles sont attentives au mouvement car elles sont attentives à l’attention de l’aspect extérieur – porté par l’extéroceptivité – du mouvement. Nous trouverons ainsi de la même façon des professeurs de mathématiques ignorant le sens de la multiplication et des professionnels du corps qui ignorent le sens du corps.23 Le découplage entre extéroceptivité et proprioceptivité permet de comprendre que, comme l’écrit Yvonne Berge24,

« l’éducation corporelle n’a rien à voir avec un apprentissage de gestes codifié »

Yvonne Berge, Vivre son corps. Pour une pédagogie du mouvement, Éditions du Seuil, 1975, p. 14.

de la même façon que jouer du piano n’est pas seulement appuyer digitalement sur des touches. Nous pouvons donc développer des évocations d’une saveur (d’un savoir) particulière, des évocations de proprioception. Nous pouvons les développer chez nous. Et de la même façon que le contact répété avec nos propres évocations auditives (verbales) et/ou visuelles nous permet de les repérer de plus en plus finement et facilement chez les autres, nous pouvons concevoir, entrevoir la possibilité de faire la même chose avec les évocations de proprioception d’un autre personne.

Ou aussi l’état proprioceptif de l’autre par contact : ce que fait un expert de taïchichuan (et très certainement un ostéopathe). Cela évite le passage par la « tête » (extéroception et évocation sur de l’extéroception : temps 1 et 2 du modèle à cinq temps) et offre la possibilité de travailler uniquement sur le « corps » (temps 3 et suivants du modèle à cinq temps).

Le taï-chi-chuan25 propose également un travail qui correspond sans doute au développement d’une perception proprioceptive du corps de l’autre, appelé parfois « ressenti » du corps de l’autre : c’est le développement de « l’Esprit du Corps » de Bob Klein26. L’élève pourrait ainsi directement puiser au temps 3 du modèle à cinq temps.

12. Ne manquons pas de cœur : Platon gymnaste

Le modèle à cinq temps parle de la « tête » et du « corps » et nous avions aussi parlé du « cœur ». Que devient ce dernier ? Le modèle à cinq temps peut-il s’élargir au « cœur », aux « ressentis » émotionnels ? Le travail sur le cœur va justement éclairer certains raisons de pratiques corporelles inattendues chez des figures de notre histoire comme Platon.
Pourquoi Platon, le philosophe disciple de Socrate, lui qui inscrivit au-dessus de la porte de son école, l’Académie, en digne héritier de Pythagore, « que nul n’entre ici qui ignore les mathématiques », pourquoi proposait-il également un travail sur le corps ?…
Si nous considérons, à la suite de la pensée médiévale continuatrice de la pensée antique, que l’homme n’est pas une binarité corps – esprit mais une ternarité corps – cœur – tête, alors nous avons un élément de réponse : Platon ne pouvait seulement s’adresser à la « tête », il devait s’adresser également au corps.
Mais qu’en est-il alors du cœur, des émotions ?
Voici une réponse apportée par Arnaud Desjardins27 :

[…] vous pouvez observer que vous avez un certain pouvoir sur votre corps, tout de suite. Vous pouvez décider de vous asseoir, de vous lever, de lever les bras, de les rabaisser, de tourner la tête à gauche, de tourner la tête à droite. Vous avez un certain pouvoir sur vos pensées. Vous pouvez décider : Je vais penser à ma mère. Vous commandez un peu à vos pensées, un tout petit peu. Mais vous n’avez aucun pouvoir direct sur vos émotions. Vous ne pouvez pas, à volonté, vous sentir heureux ou malheureux, sinon tout le monde réussirait, se sentir heureux toute la journée. Une possibilité d’intervenir indirectement sur les émotions […] est de joindre ensemble (ce qui est un des sens du mot yoga) la pensée et le corps. On dit en Inde que, quand on a capturé des éléphants dans la jungle, si on veut les faire marcher tranquilles avant qu’ils aient été dressés, il faut encadrer un éléphant sauvage par deux éléphants apprivoisés. L’Inde dit que cet éléphant sauvage marche alors paisiblement comme s’il était lui-même apprivoisé. De la même façon, si deux aspects de l’énergie en nous, deux fonctionnements, celui de la tête et celui du corps, sont associés, le troisième celui de l’émotion, se trouve comme l’éléphant sauvage entre les deux éléphants apprivoisés, et se tient tranquille. Cela ne résout pas à la source le problème des émotions mais cela donne un certain contrôle sur soi-même et une certaine possibilité de vivre à la surface de l’existence sans être trop balayé par les drames, les angoisses et les peurs. On se laisse d’autant mieux couler dans la profondeur qu’on se sent capable de nager à la surface. Il y a quatre fonctionnements spécialisés de l’énergie en nous, la pensée, le cœur (émotions ou sentiments), le corps (mouvements et sensations) et l’énergie sexuelle. Chez un être humain ces fonctions ne sont pas également favorisées par la nature. […] si vous êtes en contact avec des enseignements sérieux, traditionnels, […] vous pourrez observer qu’aucun enseignement ne peut considérer qu’une seule de ces fonctions. Une pratique ascétique, quelle qu’elle soit, commence toujours par unir ensemble deux de ces fonctions, et la troisième, comme l’éléphant non dressé, se trouve associée.
[…] La connaissance réelle vient quand toutes fonctions sont mises sous le même joug et participent ensemble. […] quand cette réunification des fonctions commence à s’accomplir, peut apparaître ce qu’on a appelé vigilance, conscience de soi, présence à soi-même. C’est l’essentiel.

Arnaud Desjardins, Le Vedanta et l’inconscient, Éditions de La Table Ronde, 1978,  p. 303, chapitre « Le travail sur le corps ».

C’est une réponse à la gymnastique de Platon. Mais aussi à l’interrogation que nous avons lors du stage jeunes « Explorer et piloter son intelligence », à Saint-Affrique puis à Bordeaux : comment expliquer les changements d’attitudes émotionnelles (vers plus de détente et d’apaisement) que nous observons chez les stagiaires alors que nous ne « travaillons » pas les émotions (nous refusons de nous improviser thérapeutes sauvages) ?

Nous proposons un accompagnement cognitif, couplé avec une démarche corporelle qui a toujours eu sa place dans ce stage.

Peut-être que quand le « corps » et la « tête » bougent ensemble, le « cœur » s’apaise ?…

Le mouvement, qu’il soit mental ou corporel, reste au cœur de notre démarche Pour allier nos pratiques, entre ceux qui observent les mouvements mentaux et ceux les corporels, il nous faut trouver l’accès aux mots qui nous permettrons d’approfondir nos échanges et la communication de nos génies réciproques.

C’est le sens que j’ai voulu donné à cette contribution : poser les bases d’un dialogue approfondi.

Ce dialogue approfondi a notamment donné naissance à une formation-recherche, dont d’autres articles seront publiés.

© F.C. Rava-Reny, 24/06/2012, http://www.rava-reny.com

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Annexe 1Souffle, ch’i, qi, énergie & co

Il m’a semblé nécessaire d’apporter une précision sur la notion de « souffle », de « tchi » transcrit « ch’i » ou « qi », ou « d’énergie ». Voici l’explication de Catherine Despeux.

« L’idée selon laquelle la vie est due au souffle (qi) est bien ancrée dans la culture chinoise. L’un des premiers à l’affirmer est le grand philosophe Zhuangzi, qui s’écrie :
« La vie de l’homme est due à l’accumulation de souffle ; si le souffle s’accumule, il y a vie, s’il se disperse, il y a mort. »a
Nous avons préféré traduire par « souffle » le terme qi le plus souvent traduit par « énergie », car ce concept d’une part fait référence à des systèmes typiquement occidentaux, d’autre part restreint cette notion de qi, l’un des concepts fondamentaux de la pensée chinoise, qui a conduit à un certain nombre de spécificités de cette culture.
Le qi est avant tout l’air que nous respirons. Le premier dictionnaire étymologique chinois, le Shuowen, définit le qi comme
« les émanations qui s’élèvent dans l’air ».
Le qi reçoit des définitions particulières selon le contexte dans lequel il est employé. Un texte taoïste en donne un assez bonne définition :
« Le souffle, c’est le ciel, ce qui met en communication, ce qui pénètre partout, c’est le vent, le mouvement, les transformations, la respiration, ce qui est léger, ce qui s’élève, ce qui s’envole, se disperse, ce qui ouvre, ce qui brille, c’est la lumière. »b
Ainsi le qi évoque-t-il le mouvement, le courant de la vie, il établit de par sa mobilité et sa circulation le lien entre l’unité d’une part entre les différents éléments du corps humain, d’autre part entre celui-ci et l’univers. Unité en mouvement, il est donc à la fois immuable et en transmutation permanente. Le fait que le souffle soit unique lui confère cette capacité de mise en communication et de pénétration universelle. La définition du qi donnée par le Lingshu est la suivante :
« Le foyer supérieur s’ouvre et répand les saveurs des cinq céréales, qui pénètrent dans les muscles, emplissent le corps et irriguent les poils, telle la brume et la rosée, voilà ce qu’on appelle le qi. »c
Le souffle est aussi un fil directeur reliant toutes choses, sorte de fil torsadé s’enroulant sur lui-même, et c’est cet enroulement qui produit la tension correcte et l’élasticité du souffle. Agent transmetteur évoluant dans un schéma spatio-temporel, le souffle possède diverses qualités et une consistance. La densité (qizu) du souffle est notamment fondamentale pour la vie […]. »

a Zhuangzi, chap.22 “ Intelligence voyage vers le Nord ”.
b T. 38 (fasc. 28) Taishang shengxuan sanyi rongshen bianhua miaojing.
c Lingshu, chap. 13.

Catherine Despeux, La moelle du phénix rouge. Santé et longue vie dans la Chine du XVIe siècle, Guy Trédaniel, Paris 1988, p. 30 et sq.

Annexe 2Quelques éléments sur la ternarité dans la pensée occidentale

L’annexe 2 est composée des parties suivantes :

  • A. Timide ternarité
  • B. Apocryphes
  • C. Apocryphes et art roman
  • D. Patrologie
  • E. Un coup d’œil chez Berne : corps et psychisme

A. Timide ternarité

La ternarité donne une clé de lecture souvent rejetée.

Comme l’écrit Gilbert Durand28 à propos de Claude Lévi-Strauss :

« le célèbre ethnologue, probablement influencé par le linguiste R. Jakobson, se refusa à constater que ces liaisons synchroniques, transversales au récit binaire et dissymétrique (avec un “avant” et un “après”), instauraient pour le moins une troisième façon de lire le récit, un “tiers-donné” sémantique qui échappait à la démonstration dialectique aussi bien qu’à la linéarité du récit descriptif. »

Gilbert DURAND, Introduction à la mythodologie. Mythes et sociétés, Albin Michel, 1996, Livre de Poche n°4300, 2000, p. 201

Victor Hugo, analysant les écrits de William Shakespeare, repérait « ce fait fort étrange » d’une « double action qui traverse le drame et qui le reflète en petit »29 : Gilbert Durand écrira que c’est là la découverte de « la machinerie redondante du mythème ». Hugo voyait dans cette redondance « l’esprit du XVIe siècle » et notait une ternarité des christophores en ajoutant : « idée doublée, idée triplée, c’était le cachet du XVIe siècle… » Gilbert Durand étend, pour sa part, cette redondance à une structure dépassant de loin le seizième siècle.


B. Apocryphes

Cette ternarité est bien présente dans la pensée médiévale, qui puise ainsi dans la triade Ancien Testament – Nouveau Testament – Apocryphes : suivant cet exemple, je n’ai pas hésité à consulter les textes apocryphes du christianisme.

Aussi dans la traduction et les commentaires de L’Évangile de Thomas30 de Jean-Yves Leloup, prêtre et théologien orthodoxe, on peut lire :

« Les solitaires d’Égypte comprenaient cette parole [« Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, Je suis au milieu d’eux.« , Mt 18, 20] d’une autre façon. Les deux ou trois dont il est question, c’est le cœur, le corps, et l’esprit. Lorsque ces trois niveaux de notre être, avec les modes de conscience qui leur sont propres, sont rassemblés, unifiés, le Christ est réellement présent.
C’est là d’ailleurs un des leitmotive de la méthode d’oraison hésychaste. »

Jean-Yves LELOUP, L’Évangile de Thomas, traduction et commentaires, Albin Michel, p. 110.

C. Apocryphes et art roman

De même, on trouve chez Paul Trilloux31 :

« Nourris des enseignements des pères de l’église les moines s’accordaient pour reconnaître en l’homme trois intelligences :
1 – L’intelligence du corps, qui permet à celui-ci de réagir d’une manière quasi instinctive et que l’on développe par la pratique d’un métier.
2 – L’intelligence du cerveau, que l’on cultive par les études et les activités d’ordre intellectuel.
3 – L’intelligence du cœur, siège de la conscience que l’on peut forger dans le silence et la prière. Particulièrement intuitive, elle permet à l’homme d’accéder au monde de la spiritualité. »

Paul TRILLOUX, Guide de l’art roman, Dervy, p. 70.

D. Patrologie

Du coup, que disent les pères de l’Église ?
On y retrouve en passant des échos au sens porté par l’évocation, souvent chez Origène32 qui

« déjà se plaignait qu’on n’enseignait plus le sens spirituel des Écritures et que les prêtres ne faisaient plus leur travail d’herméneutes : « Ils distribuent les noix, sans briser la coquille et les enfants se cassent les dents. Ils ne sont pas entrés dans l’amande – dans le noyau du message. » »

Paul TRILLOUX, Guide de l’art roman, Dervy, p. 125

Chez Irénée33, nous retrouvons l’idée que l’homme achevé est une unité d’une ternarité : âme – corps – Esprit :

« La chair modelée à elle seule n’est pas l’homme achevé, elle n’est que le corps de l’homme, donc une dimension de l’homme. L’âme à elle seule n’est pas davantage l’homme, elle n’est que l’âme de l’homme donc une dimension de l’homme. L’Esprit non plus n’est pas l’homme : on lui donne le nom d’Esprit, non celui de l’homme. C’est l’union dans la communion de ces trois réalités qui constitue l’homme achevé. » 
Adversus haereses, V, 6, 1

cité in Sœur Gabriel PETERS o.s.b., Lire les Pères de l’Église – Cours de patrologie, Desclée de Brouwer, 1981, p. 301

Au passage également, nous retrouvons un autre concept familier de la gestion mentale (l’espace-temps) :

Ce qui est fait reçoit obligatoirement un commencement, un état intermédiaire et une maturité.

Adversus haereses, IV, 11, 2, cité in cité in Sœur Gabriel PETERS o.s.b., op. cit.

Et Sœur Gabriel Peters de poursuivre :

« Mais ce serait vraiment trahir Irénée que de ne pas citer un de ces textes où il chante son admiration devant le corps humain, ce corps appelé à la résurrection dans l’incorruptibilité, ce corps qui est le modelage de Dieu et a reçu la forme de son art :
« … La chair se trouvera capable de recevoir et de contenir la puissance de Dieu, puisqu’au commencement elle a reçu l’art de Dieu et qu’ainsi une partie d’elle-même est devenue l’œil qui voit, une autre l’oreille qui entend, une autre la main qui palpe et qui travaille, une autre les nerfs qui sont tendus de toute part et qui maintiennent ensemble les membres, une autre les artères et les veines par où passent le sang et le souffle respiratoire, une autre les différents viscères, une autre le sang qui est le lien de l’âme et du corps — et que sais-je encore ? — car il est impossible d’énumérer tous les éléments constitutifs de l’organisme humain, qui n’a pas été fait sans la profonde sagesse de Dieu. Or ce qui participe à l’art et à la sagesse de Dieu participe aussi à sa puissance. La chair n’est donc pas exclue de l’art, de la sagesse et de la puissance de Dieu, mais la puissance de Dieu, qui procure la vie, se déploie dans la faiblesse, c’est-à-dire dans la chair.

Adversus haereses, V, 3, 2-3 »

Soeur Gabriel Peters, op. cit.

Comme Adversus haereses c’est « Contre les hérésies », il convient de préciser le terme d’hérésie que je rendrai par erreur pédagogique ou didactique. Regardons l’article Irénée d’un gros dictionnaire34 :

« Il se tromperait celui qui, en affirmant les trois composantes de l’homme parfait (cf. 1 Th 5, 23)35 – spiritus/anima/corpus (esprit-âme-corps) – leur attribuerait un même poids spécifique. Tous les théologiens admettent cette trichotomie en ce monde. Cependant, les valentiniens mettent l’accent sur le spiritus, particularité de l’homme vrai (homo = spiritus) : les partisans de la salus animae en font autant sur la psyché (homo = anima). En revanche, Irénée met l’accent sur le plasma (modelage) (homo = caro). »

Sous la direction d’Angelo DI BERARDINO, Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien, tome 1, Cerf, 1990, p. 1235.

Au passage dans le même article, nous trouvons cette citation étrangement familière aux taoïstes, et pourtant biblique :

« la puissance se déploie dans la faiblesse »

(2 Co 12,9). = St Paul, Deuxième épître aux Corinthiens, 12,9

Cela est une maxime du travail interne (arts martiaux internes, qigong, etc.) :

 le lourd est la racine du léger.

Encore une citation glanée chez Paul :

N’éteignez pas l’Esprit, ne dépréciez pas les dons de prophétie, mais vérifiez tout : ce qui est bon, retenez-le.

St Paul, Première Épître aux Thessaloniciens, 5, 19-21

Et comment savoir ce qui est bon ?… Ce qui donne de bons fruits sans doute.
Donc comment savoir qu’une évocation (visuelle, auditive ou de proprioception) est « bonne » : elle permet de réaliser certaines choses.


E. Un coup d’œil chez Berne : corps et psychisme

Pour clore ce rapide aperçu de la ternarité, je citerai deux passages relevés chez Eric Berne, le fondateur de l’Analyse Transactionnelle, qui font écho aux commentaires de Jean-Yves Leloup de Praxis et Gnosis. Une relation entre état musculaire et « psychisme » est établie par Eric Berne dans Que dîtes-vous après avoir dit bonjour ?, p.139 : « La culture familiale » : « Penser sphincter ! ». Et sur la communication, la prise d’indices dans le non-verbal, les signes scénariques signalés en p. 265 au chapitre 17 seront à prendre en considération..


Notes de bas de page

1. Le stage de Saint-Affrique s’est déplacé à Bordeaux. C’est le stage pour les jeunes intitulé « Explorer et piloter son intelligence » : cf. http://www.gestionmentale.org

2. Antoine de La Garanderie, Elisabeth Tingry, On peut tous toujours réussir. Un projet pour chacun, Bayard Éditions, Paris, 1991.

3op. cit. p.77

4op. cit. p.88

5. Jacques Dropsy, Vivre avec son corps , Édition Épi, 1973, pp. 40-1

6. Synonyme : « rétrocontrôle ».

7. Aldous Huxley, L’art de voir, Petite bibliothèque Payot, 1978. Huxley, quasi-aveugle à l’âge de 16 ans, écrivit ce tribut au Dr Bates en 1943. La méthode Bates lui redonna en effet le plein usage de ses yeux.

8. Dr Tran Ky, Dr François Drouard, Robert Descombes, Les racines du sexe. De la science de l’amour, Presses de la Renaissance, Paris, 1985, p.177

9. Yvonne Duplessis, Une science nouvelle : la dermo-optique, Éditions du Rocher, 1996.

10. Jules Romain, La vision extra-rétinienne et le Sens paroptique, 1920.

11. La première loi de Tomatis énonce que la voix ne contient que ce que l’oreille entend. (cité dans Alain Saury, Un enfant à naître de nous,  Éditions Dangles, St Jean de Braye, 1989, p. 320)

Alain Saury, op. cit., p.215

12. Ouvrage collectif sous la direction d’Yvonne DUPLESSIS, Les couleurs visibles et non visibles, Éditions du Rocher, 1984. Notamment photos sur film infrarouge, communiquées par le Dr CHAI Jianyu, numérotées 17 à 19 avant la page 163, et article p. 276 et sq., reprenant un article publié dans Nature, 1982, vol. 5, pp. 354-358.

13. L’annexe 1 reprend Catherine DESPEUX, La moelle du phénix rouge. Guy Trédaniel, Paris 1988, p.30 et sq. Sur le qi, voir aussi la description donnée par Simon LEYS, La forêt en feu, avec son passage sur le qi de rectitude.

14.  Cité in Dr John Diamond, Le corps ne ment pas. Un test simple de votre énergie vitale, Le souffle d’or, p. 58 – Le Dr George Goodheart a découvert l’existence d’une

relation directe entre les muscles et les méridiens. Un muscle faible indique un déséquilibre énergétique […] dans l’organe relié à ce muscle via le méridien d’acupuncture concerné. Les muscles peuvent donc être pensés en termes de pompes à énergie, qui augment la circulation de celle-ci dans les méridiens lorsque le thymus fonctionne normalement. Dans le cas contraire, l’énergie diminue. Ceci explique pourquoi, lorsque nous faisons un test en Kinésiologie Comportementale, nous ne testons pas la force mécanique du muscle, comme le ferait disons un physiothérapeute. […] L’une des découvertes majeures de la Kinésiologie Comportementale est que le thymus contrôle et régule la circulation d’énergie dans le système des méridiens.

Dr George Goodheart, cité in Dr John Diamond, Le corps ne ment pas. Un test simple de votre énergie vitale, Le souffle d’or, p. 58

15. Claire Sagnières, L’acupuncture – Mythes et réalités, Editions Médecine et Hygiène, Genève, 1989.

16. Sur des éléments de la place de la ternarité dans la pensée occidentale, cf. annexe 2.

17. Je préfère utiliser le terme de production indiquant une participation active de la personne et une conservation de l’information au terme de restitution invitant à moins d’action et à un abandon de l’information à l’autre.

18. cf. Chich et al, Pratique pédagogique de la Gestion Mentale ou le plaisir d’apprendre, Retz, 1991, p.65.

19. La première version de ce texte remonte à 2001. À l’époque, Antoine de La Garanderie n’avait pas encore introduit la notion d’évocations tactiles. Comme cette notion reste encore confuse pour de nombreuses personnes dans le petit monde de la gestion mentale, nous continuerons dans cette version d’utiliser ce terme approximatif de kinesthésique.

20. Épigenèse : théorie selon laquelle l’embryon d’un être vivant se développe par multiplication et différenciation cellulaire progressive, et non à partir d’éléments préformés dans l’œuf. (www.cnrtl.fr) L’épigenèse considère qu’il y a bien un terrain génétique (éléments préformés dans l’œuf) mais que l’interaction avec le milieu influence le développement.

L’embryon se construit peu à peu, par complications successives, par épigenèse.

Jean Rostand, La Vie et ses problèmes, 1939, p. 37

21. Alain SAURY, op. cit., p.215

22. Alain SAURY, op. cit. p.215

23. Dans quelle mesure pourrait-on dire qu’ils sont restés dans une compréhension praxique au détriment d’une compréhension gnosique ?…

24. Yvonne Berge, Vivre son corps. Pour une pédagogie du mouvement, Éditions du Seuil, 1975, p.14.

25. Et les autres arts martiaux internes, c’est-à-dire qui passent par le ressenti corporel, comme le hsing-yi-chuan et le pa-kua-chang.

26. Bob Klein, L’esprit du t’ai-chi-ch’uan, Éditions du Rocher, 1996.

27. Arnaud Desjardins, Le Vedanta et l’inconscient, Éditions de La Table Ronde, 1978,  p.303, chapitre « Le travail sur le corps ».

28. Gilbert DURAND, Introduction à la mythodologie. Mythes et sociétés, Albin Michel, 1996, Livre de Poche n°4300, 2000, p.201

29. op. cit., p. 208

30. Jean-Yves LELOUP, L’Évangile de Thomas, traduction et commentaires, Albin Michel, p.110.

31. Paul TRILLOUX, Guide de l’art roman, Dervy, p.70.

32. TRILLOUX, op. cit., p. 125

33. Sœur Gabriel PETERS o.s.b., Lire les Pères de l’Église – Cours de patrologie, Desclée de Brouwer,1981, p.301

34. Sous la direction d’Angelo DI BERARDINO, Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien, tome 1, Cerf, 1990, p.1235.

35. Je vous donne l’extrait pioché dans la traduction de la Bible de Jérusalem : St Paul, Première Épître aux Thessaloniciens, 5, 23 :

Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie totalement, et que votre être entier, l’esprit, l’âme et le corps, soit gardé sans reproche à l’Avènement de notre Seigneur Jésus Christ.

St Paul, Première Épître aux Thessaloniciens, 5, 23

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