Le baroque ou l’ouverture aux sens

Otavio MOSTO (ca. 1696), Saint Michel Archange, à l’angle du Palais Toscan, Prague

Le baroque, je n’aimais pas… et puis, ça a changé : maturité ou transformation ?

Enfant j’aimais l’architecture aux formes géométriques et à l’appréhension simple : les ruines des temples grecs, puis jeune adolescent l’art roman et le style si sobre de Cîteaux. Question d’âge peut-être ; et de milieu avec l’éducation janséniste de ma mère (la chair est faible il faut donc la rejeter) ou encore le culte de la pauvreté de ma famille qui se travestissait derrière celui de la simplicité (il est toujours plus facile d’accepter sa précarité quand on estime l’avoir choisi pour des raisons idéologiques ou esthétiques). Mon éducation bouddhiste rajoutait encore à la prudence envers les cinq sens, occasions de péché.

Aussi, pendant longtemps l’architecture baroque me répugnait, je supportais à peine la peinture du même style bien que j’appréciais la musique.

Et puis plusieurs jalons ont provoqué le changement.

L’un d’entre eux fut la méthode Potentialis, qui redonne sa place à la sensorialité, montrant que le cerveau ne distingue pas sens propre et sens figuré, que le goût du palais c’est aussi le bon goût, l’olfaction c’est aussi avoir du flair donc de l’intuition, le toucher c’est avoir du tact..

Réconcilié avec ces sens mal-aimés, je donnais sans le savoir une base à ma nouvelle appréciation du baroque. Car je notais sans le savoir que ce dernier devenait plus aimable. (peut-être aussi parce que depuis l’enfance je m’étais interrogé sur comment peut-on être baroque ?…)

Aussi, au détour d’une lecture, je trouvais une explication. Le baroque cherche justement à réconcilier le plaisir des sens avec la spiritualité. Lisez plutôt cet extrait de l’Histoire de Prague, de Bernard Michel.

« Le baroque de la Contre-Réforme s’adressait aux fidèles en les amenant à la contemplation de Dieu, non par l’ascétisme abstrait, mais par les séductions concrètes des plaisirs des sens :
la musique élève l’âme et permet d’entrevoir l’harmonie céleste ;
l’architecture, par la beauté de ses marbres, par l’imprévu des trompe-l’œil, éloigne l’homme du monde réel pour l’amener dans l’antichambre du divin.

« Le concile de Trente, à l’inverse des principes ascétiques du protestantisme, a montré une remarquable mesure de compréhension pour les faiblesses et les tentations humaines. Il a pris au sérieux les aspects timorés de la nature humaine et tendu aux croyants une main secourable, notamment par la codification des formes extérieures de la piété, jusque-là toujours discutées, afin de leur permettre la concentration sur Dieu, tout en utilisant des auxiliaires terrestres. » (Ivana Cornejova) Loin d’être fermée, repliée sur elle-même, la piété baroque s’ouvre au monde de la vie ordinaire, en la transfigurant par l’annonce de l’au-delà. C’est l’un des grands thèmes de la peinture baroque, jouant de ses plans superposés : le monde naturaliste d’ici-bas communique directement avec les anges et les saints des registres supérieurs. D’où l’importance de la piété populaire et de toutes les formes de sociabilité religieuse : confréries, sodalités, associations mariales pratiquant la prière du rosaire. De même, dans les campagnes, les statues des saints et notamment de saint Jean Népomucène, vont orner les oratoires au milieu des champs. Dans la ville de Prague, des statues ramènent à chaque instant le passant dans un espace de religion. Nul chemin n’est aussi glorieux que le pont de pierre avec ses groupes de statues qui le transforment en chemin mystique. »

Bernard MICHEL, Histoire de Prague, pp. 157-9

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