De quel amour parles-tu ?


Éducation / amour, besoins socio-émotionnels, éducation, grec, langues /


Cher jeune lecteur,

Puisque tu m’interroges sur le sujet tant traité de l’amour, je vais te donner quelques pistes de réflexion.

Parce que nous sommes le produit de la terre, j’utiliserai des références et une terminologie issues de notre culture.

En Europe, de grandes souffrances existent de par ce que nous ne touchons plus la terre de nos ancêtres. Nous sommes devenus des étrangers sur notre propre sol. Nous ne voyons plus les magnifiques arbres qui pour se déployer dans l’immensité du ciel plongent profondément leurs racines dans la terre. Imitons donc les arbres, plongeons dans nos racines grecques.

Comme je te le disais dans une précédente entrevue, les Grecs anciens, de qui nous sommes les dépositaires, avaient réfléchi sur l’amour. Ils utilisaient quatre mots pour en parler :

  1. Pornéïa (πορνεία) ;
  2. Éros (ἔρως) ;
  3. Philia (φιλία) ;
  4. et Agapé (ἀγάπη).

Tu peux retrouver une présentation de ces différents amours dans L’évangile de Jean, traduit et commenté par Jean-Yves Leloup, notamment en p. 244, ou chez Jacques Salomé, en p. 24 et suivantes de son Dis, papa, l’amour c’est quoi ?

Je te livre ici ma compréhension du moment de ces mots, et le parallèle que j’établis entre ces quatre amours et les quatre corps de l’être humain décrits dans la tradition chrétienne.

La terminologie chrétienne distingue :

  1. le corps charnel ;
  2. le corps naturel ;
  3. le corps spirituel ;
  4. et le corps divin.

Peut-être est-ce un peu nouveau pour toi, comme pour de nombreux « Chrétiens » qui ignorent par exemple que l’Évangile distingue sept types d’hommes.

En Orient, on utilise la métaphore de la voiture, du cheval, du cocher et du maître.

  1. Le corps charnel est la voiture et correspond au corps.
  2. Le corps naturel est le cheval et correspond aux sentiments, aux désirs.
  3. Le corps spirituel est le cocher et correspond au penser.
  4. Le corps divin est le maître et correspond au Moi, à la conscience, à la volonté.

Pornéïa

J’établis un parallèle entre pornéïa et le corps charnel.

Pornéïa est l’amour du bébé pour « sa maman ». J’utilise des guillemets car pour le bébé, « sa maman » est-elle une vraie personne ? Il aime son lait, son admiration…

Comme l’écrit Salomé, pornéïa “est un amour de « consommation » nécessaire et vital, beau et bon pour la sécurité de base de l’enfant encore immature et dépendant de cet âge. Mais cet amour peut se prolonger parfois jusqu’à un âge avancé de la vie adulte, ce qui explique que celui qui se sent aimé de cette façon se sent parfois dévoré.”

Éros

Le parallèle suivant est entre Éros et le corps naturel.

Jean-Yves Leloup définit Éros comme « l’amour-désir, désir de l’inférieur pour le supérieur ».

C’est donc un amour tourné vers l’autre.

C’est un amour chargé de sentiments et de désirs.

« Éros était un dieu chargé de donner des ailes à pornéïa, autrement dit de le transformer, de le faire évoluer, de l’éveiller et de l’élever pour le rendre plus mature, plus noble et plus beau. Pour qu’il devienne un amour centré sur la personne aimée et non pas seulement sur ce qu’elle peut nous donner ou nous procurer. »

Jacques Salomé, Dis Papa, l’amour c’est quoi ?

Il nous donne des ailes ! Nous voilà amoureux, plus généreux, plus créatif, plus ingénieux…

Philia

J’établis ensuite le parallèle entre Philia et le corps spirituel.

Il correspond au penser, à l’amour-amitié, d’égal à égal pour Leloup.

Ce sont les amis loués dans l’antiquité, comme par Cicéron dans son De l’amitié, ou un peu par Saint Alraed de Rivaux, qui déborde à mon avis sur Agapè.

L’échange, le partage fondent cet amour : l’un et l’autre savent à la fois donner et recevoir, chacun aide l’autre à « aller vers le meilleur de lui-même » (Salomé).

Agapé

Et enfin il y a ce mot qui traduit un amour encore plus rare que les deux précédents, Agapé, pour lequel j’établis le lien avec le corps divin, le Moi, la conscience ou la volonté.

Ce mot dut être « créé » par les Grecs anciens, qui se posaient beaucoup de questions (philosophiques…) et façonnèrent ainsi leur langue.

Agapè, c’est « l’amour gratuit, l’amour de surabondance ». C’est l’Amour dont parle Jésus dans les Évangiles, et dont certains Chrétiens (ou plus précisément des personnes qui pensent avoir accédé à l’état de Chrétien oubliant que l’on n’est pas Chrétien, on essaie de le devenir) nous rabattent les oreilles (le confondant comme Saint Pierre – Simon-Pierre si tu préfères – avec Philia, ou même Éros…)

Il n’y a pas de désir physique dans Agapè, ni de besoin de se sentir accueilli par l’autre.

On accueille l’autre tel qu’il est, sans jugement, avec bienveillance et reconnaissance.

C’est cet amour, divin, dont parle Jésus quand il dit : « À cet Agapè que vous aurez les uns pour les autres, tous vous reconnaîtront pour mes disciples. »

Tu comprends pourquoi je pense que c’est une profonde erreur de se croire « chrétien », car cela voudrait dire que nous aurions accès à cet « amour » (je mets entre guillemets car ce mot prenant quatre acceptions différentes, tu comprends aisément les malentendus possibles…).

Et quand Jésus dit « Aimez-vous les uns les autres », le texte de l’Évangile, en grec donc, est « Agapatè allelous« , à savoir « prenez soin les uns de autres, respectez-vous mutuellement, guérissez-vous de la souffrance et du malheur » (traduit par Jean-Yves Leloup), et vivez en Agapè.

Le cri de guerre des Templiers était « Vive Dieu Saint-Amour ».

A ton avis, duquel Saint-Amour se réclamaient-ils ?…

Amour, un mot, quatre sens, beaucoup de confusions

Je t’ai parlé de ma faible compréhension du terme « amour » avec ses quatre facettes grecques.

Le grand Origène demandait à ses « fidèles » des prières pour qu’il puisse mieux comprendre les Écritures, et s’il n’y avait pas de prétention chez moi, je demanderai également des prières pour mieux accéder à la Source intarissable.

Il y a encore plein de choses à dire sur l’amour, ou les amours. N’est-ce pas naturel ?

Si l’on pense que pour signifier son amour, on offre des fleurs, et que chaque fleur exprime une nuance différente, songe aux nombres d’espèces de fleurs différentes sur notre planète !

Tu peux lire, ou relire, la Lettre à un jeune poète du sensible Rainer Maria Rilke, où des choses si justes sont écrites.

Sur ces quatre mots grecs, rendus par un seul mot français, que d’erreurs.

Je songe à une « secte » de Chrétiens du premier millénaire qui préconisait des orgies entre fidèles : ils avaient tout simplement confondus Agapè et Pornéïa

Un autre livre sur le sujet, Pour une vie réussie, un amour réussi, d’Arnaud Desjardins.

C’est de lui que je garde l’image suivante.

« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique ; et moi petite fille j’ai tant aimé le chocolat… »

Arnaud Desjardins, Pour une vie réussie, un amour réussi, éditions de La Table Ronde

Il y a également du poète Claude Roy, Le Verbe Aimer, dont voici un extrait.

« Je vous aime peut vouloir dire :
“je désire me prouver à moi-même que j’existe en présentant pour vous un sentiment violent ».
Ou : je désire vous caresser, vous toucher, vous embrasser, vous donner du plaisir.
Ou bien : je désire que vous me caressiez, me touchiez, m’embrassiez, me donniez du plaisir.
Ou bien : je désire m’assurer de ma valeur en étant aimé par vous.
Ou bien : je désire être subjugué, anéanti, humilié par vous, pour me reposer de la fatigue d’être moi.
Ou bien : je désire vous écraser, vous humilier, vous faire mal pour exalter mon moi et me rassurer sur mon pouvoir.
Ou bien : j’ai besoin d’un partenaire, d’un associé, je désire conclure un marché, je vous offre ceci, vous m’apportez cela, topons là.
Ou bien : j’ai envie de faire un placement, et j’investis en vous un capital d’affection, de soins et d’argent qui me rapportera un intérêt.
Ou bien : j’ai besoin de retrouver ma mère (ou mon père), et c’est ce que vous pouvez être pour moi.
Ou bien : j’ai besoin d’un prétexte à vibrer, à m’exalter, à souffrir mille morts, m’inventer mille délices, vous serez ce prétexte (si je t’aime, est-ce que cela te regarde ?).

Je vous aime prend aussi le sens de :
j’ai à vaincre un sentiment de culpabilité, à combattre des complexes d’infériorité, et vous idolâtrer va me libérer.
Ou bien : je n’aime pas faire la vaisselle et passer les soirées seul, vous serez là.
Ou encore : un être à torturer, qui me torture aussi, m’est indispensable : soyez mon partenaire dans cet exercice.

Cela peut aussi signifier que celui qui dit « je vous aime » aime vraiment l’être à qui il le dit. »

Claude Roy, Le Verbe Aimer

Voilà : le sujet est vaste !

En souhaitant que tu aies fait une bonne lecture…

© F. Rava-Reny, 31/08/2001 !


• Vous pouvez retrouver l’auteur de cet article sur son site :
Réussir à vivre autrement.


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