Le peur est le contraire de la liberté


Avez-vous peur de vous tromper en lisant cet article effrayant ?…


Avant-propos
Après la peur qui s’est abattue sur nos sociétés ces dernières années, il m’a semblé opportun de retravailler un texte de 2015 sur le sujet, qui, sans l’épuiser, pose quelques jalons. Bonne lecture de cette seconde version.

Quel rôle jouent nos peurs dans notre vie ? Sont-elles vraiment utiles ? Servent-elles à apprendre ?

Comme il s’agit de comprendre la peur, prenons un contraste fort, entre société totalitaire d’un côté et société démocratique de l’autre.

Dans les sociétés totalitaires, dictatoriales ou autoritaires, avoir peur peut sembler normal à certains et anormal à d’autres.
Pour ceux qui estiment n’avoir rien à se reprocher, cela semble anormal d’avoir peur de leur gouvernement. Ils en apprécient d’ailleurs souvent la main de fer grâce à laquelle l’ordre règne1 (enfin). Hélas. Car comme le rappelle le poème de Niemöller2, ne pas se sentir concerné par le drame des autres, parce que justement, ce sont des autres et pas nous, finit toujours par nous retomber dessus. Car un jour nous serons l’autre d’un autre. Et ce jour là, qui viendra nous aider ?
Hélas également pour l’ordre, car comme l’écrivit Bettelheim3,

« la paix qui règne dans une société totalitaire s’achète au prix de la mort de l’âme. »

Bruno BETTELHEIM (1979), Survivre, Robert Laffont, 1979, p. 391.

L’ordre règne, certes, mais pour qui ? Des humains ou des zombies ? Des hommes ou des robots ?
Pour ceux qui, plutôt que de se mettre en danger, préfèrent faire ce qu’ils croient être de petits sacrifices, avoir peur de leur gouvernement semble normal. Ils pratiquent une forme d’auto-censure. Ils n’osent plus faire ce qu’ils faisaient, reculant ainsi à petits pas. De peur de mourir ils refusent de vivre. Ainsi, comme l’écrit Aung San Suu Kyi4,

« dans sa forme la plus insidieuse, la peur prend le masque du bon sens, voire de la sagesse, en condamnant comme insensés, imprudents, inefficaces ou inutiles les petits gestes quotidiens de courage qui aident à préserver respect de soi et dignité humaine ».

Aung San Suu Kyi

Elle écrit encore5,

« ce n’est pas le pouvoir qui corrompt, c’est la peur : la peur de le perdre pour ceux qui l’exercent, la peur des matraques pour ceux qu’il opprime ».

Aung San Suu Kyi

Pourquoi face aux matraques, concrètes ou symboliques, sommes-nous tous pleutres ? C’est que nous croyons que quand elles s’abattent sur un autre, cela nous laisse du répit, à nous ! L’ancienne institutrice Jane Eliott en donne une brillante illustration en faisant vivre ce de façon dramatique ce fait observable et reproductible dans son atelier yeux marrons-yeux bleus6 .
Voilà pour une société totalitaire. Regardons son contraire.

Dans une société démocratique, pourquoi avoir peur ? Nous pouvons comprendre que les gens aient peur dans un système totalitaire, précisément parce que ces systèmes (totalitaire, dictatorial, autoritaire) se maintiennent grâce à la peur qu’ils provoquent chez leurs populations. Pour preuve, le jour où les gens n’ont plus peur, ces régimes s’effondrent d’eux-mêmes. Or, alors qu’une démocratie ne repose pas sur la peur, cette dernière se maintient dans une certaine mesure. Qui l’impose puisque ce n’est plus l’État ? Antoine de La Garanderie7 nous apporte une réponse :

« l’homme n’échappe au vertige de la peur qu’en décidant de n’en être pas le prisonnier ».

Antoine de La Garanderie (1997), Apprendre sans peur, Nathan, 1997, p. 7.

Ce serait l’individu qui resterait enfermé dans sa peur. A contrario, suffirait-il dans les états de non-droit de décider de sortir de sa prison mentale pour se libérer de la peur ? Liu Xiaobo»8, prix Nobel de la paix 2010, nous offrit une réponse avec son vivant exemple, décidant que le

le « meilleur moyen de lutter contre un pouvoir qu’il qualifie de « post-totalitaire » consiste à « vivre dans la vérité », quelles que soient les conséquences d’une telle attitude ».

Propos de LIU Xiaobo rapportés dans La pensée en Chine aujourd’hui, Folio essais, pp. 141-2.

Mais dans une société démocratique, que risquons-nous ? Dans un état de droit, où chacun peut mettre son talent au profit de tous, quel rôle a la peur ?

« La peur est l’écran que l’homme met entre lui et sa liberté. »

Antoine de La Garanderie (1997)9

Sans la peur, nous serions, chacun d’entre nous, libres de devenir qui nous sommes. N’est-ce pas là ce qui nous effraie ? Les états totalitaires mettent précisément en avant la difficulté d’être responsables. Ils vont pourvoir à tout, d’où le terme de totalitaire. Ils agissent à notre place, et le prix à payer sera de rester à vie politiquement mineur. Un enfant en somme. Et lorsque nous étions enfants, nous rêvions de jouer librement tandis que nos parents rangeaient nos jouets…

Justement, quel rôle joue la peur dans l’enfant qui apprend (pléonasme) ? En pédagogie, quelle place peut avoir la peur ?… Là où règne la peur disparaît la réflexion au profit du réflexe, celui d’éviter le bâton pour saisir la carotte.

« Là où règne la peur disparaît la réflexion au profit du réflexe, celui d’éviter le bâton pour saisir la carotte.
La peur est le contraire de la liberté. Ceux qui l’utilisent cherchent à nous rabaisser et non à nous faire grandir, à nous dresser et non à nous élever. »

Frédéric Rava-Reny (2015)

La peur est le contraire de la liberté. Ceux qui utilisent la peur cherchent à nous rabaisser et non à nous faire grandir, à nous dresser et non à nous élever. Souvenons-nous en. Sans avoir peur d’oublier…


© F. C. Rava-Reny, 01/02/2015, http://www.rava-reny.com


1. « L’ordre règne à Varsovie. » Lorsqu’en septembre 1831 l’armée russe envahit la capitale polonaise pour mettre fin à l’insurrection, un ministre français déclare que « la tranquillité régnait à Varsovie ».

Le journal La Caricature reprend avec « L’ordre règne à Varsovie », avec illustrations de soldat sur un tas de cadavres.

2. Martin Niemöller, interné à Dachau, écrit en 1942 :

« Lorsque les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.
Lorsqu’ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.
Lorsqu’ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.
Lorsqu’ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »

Martin Niemöller

3. Bruno Betelheim, Survivre, R. Laffont, p. 391

4. Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix 1990, Se libérer de la peur, texte de quatrième de couverture.

5. Ibid.

6. http://www.janeelliott.com et aussi son expérience Yeux marrons, yeux bleus.

7. Antoine de La Garanderie, Apprendre sans peur, Nathan, 1997, p.7.

8. La pensée en Chine aujourd’hui, Folio essais, pp.141-2. Liu mourut libre dans sa tête mais en prison pour ses idées en 2017.

9. Antoine de La Garanderie, op. cit., p.12

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