L’écriture inclusive, et les remous qu’elle suscite, met en évidence deux erreurs fondamentales de notre enseignement du français. Cela passe inaperçu car la meilleure façon de cacher la vérité est de la rendre évidente (pour les lectures d’Edgar Allan Poe, c’est la lettre volée que personne ne trouve car elle est clouée sur le mur, sous les yeux… et comme je dis souvent, il y a un vieux proverbe de gestion mentale que j’ai inventé il y a quelques mois « Tout sous les yeux, rien dans la tête ! »).
En France, on n’enseigne plus, ou mal, la différence entre la nature et la fonction. Mal car autrement nous n’en serions pas à débattre sur la violence faite aux femmes à travers l’écriture, et comment l’éviter avec l’écriture inclusive…
Mais qu’est-ce que cette distinction entre nature et fonction ?
Pierre est marcheur quand il marche, danseur quand il danse, médecin quand il exerce sa profession. Sa nature reste la même dans tous les cas : il demeure qui il est, sa fonction change selon le rôle qu’il a ou ce qu’il fait.
Certes, dans le langage courant, nous dirons que Pierre est médecin. Mais cette commodité est ruineuse en pédagogie. Car nous en viendrons à dire que cet élève est nul car il a zéro, qu’il est dyslexique parce qu’il a une dyslexie, etc. On peut se débarrasser de ce que l’on a, on peut changer de rôle. Mais changer qui l’on est… c’est plus dur, c’est la nature. Il s’agit donc ici de différencier ce qui relève de l’être, la nature, de ce qui relève de l’avoir, la fonction.
Devenir juste quelqu’un qui a ou qui fait, c’est oublier la personne. Et c’est sans doute cette violence de l’oubli de l’identité que veut combattre, maladroitement, l’écriture inclusive. Car il vaut mieux attaquer le mal à la racine plutôt que de s’en prendre à un symptôme incompris.
En français standard, on écrivait « Madame LE professeur », « Madame » pour indiquer la nature, et « LE » pour indiquer la fonction. Notre langue a donc toujours été prête pour que des femmes (nature) puissent exercer les métiers (fonction) de leur choix. La première erreur est d’oublier cette différence entre nature et fonction.
Et pour ceux qui auraient besoin de plus de clarté, la nature, c’est le sexe, la fonction, c’est le genre. Une table n’a pas de vagin, mais c’est un mot féminin. Masculin ou féminin ne parlent donc pas de sexe mais bien de genre. La langue nous invite à nous rappeler qu’il n’y a pas de métiers « d’hommes ou de femmes » mais des métiers masculins ou féminins, ce qui n’est pas exactement la même chose. Distinguer nature et fonction libère donc des carcans de l’esprit.
C’était la première erreur, fondatrice de toutes les autres en langues.
La seconde erreur est plus subtile : nous n’enseignons plus la typographie. Pour preuve, l’usage du trait oblique « / », ou slash, qui veut dire « ou » et non pas « et ». Ou encore la croyance répandue que les majuscules ne prendraient pas d’accents… comme si « ÉLÈVES EN PLEIN AIR » voulait dire la même chose que « ÉLEVÉS EN PLEIN AIR ».
Aurions-nous enseigné la typographie que nous saurions tous que le point indique une fin, et pas une option comme dans l’écriture « inclusive ».
Mais pourquoi n’enseigne-t-on pas ? Parce que nous sommes sous le joug de Windows qui a fait disparaître les guillemets français, en chevron, «…», au profit des guillemets anglais, « … » ? En partie. Mais surtout par paresse : la typographie est le raffinement de la langue écrite. C’est la dernière touche de maquillage de la phrase, la marque d’une certaine coquetterie… Mais en oubliant cet enseignement, en formant des brutes, nous avons choisi de vivre dans un monde de brutes. Rien d’étonnant alors de voir les filles hurler quand on oublie le E. C’était pourtant connu…
on ne fait pas de grammaire sans casser des E !