Le monde en noir et blanc

Quand on est enfant, il y a les gentils et les méchants.
Le monde est facile à lire.
Peut-être car il s’agit de grandir, et d’agir, et que la dichotomie aide à trancher.

En grandissant, on s’aperçoit que la vie est plus complexe. Certes, en France, apparemment, on n’enseigne plus la trilogie thèse-antithèse-synthèse. Je regrette cette absurdité qui maintient les esprits dans un infantilisme. Pourquoi un infantilisme ? Car en refusant de montrer un modèle ternaire, on maintient la pensée dans un monde en noir et blanc, modèle enfantin qui sied aux bambins, marque infantile aux personnes plus viriles.
Est-ce dangereux ? Oui, cela affaiblit la République.  Pourquoi ? Car c’est la synthèse qui permet aux contraires, la thèse et l’antithèse, de vivre ensemble. Et notre société se nourrit de nos différences dont nous arrivons à faire des forces en les mettant en commun grâce au dialogue.
Cesser d’enseigner le dialogue entre deux points vues contraires, c’est empêcher les élèves, et plus tard les citoyens, de faire coexister la raison, suivre les directives de l’école, et le cœur, trouver du sens à l’existence. C’est les enfermer dans un choix cornélien. Que choisir entre « c’est comme ça, obéis, ta place est à ce prix » ou « c’est comme ça, désobéis, tu n’as plus de place ». Soit le banc de l’école, soit le ban de la société. En plus des souffrances individuelles, parfois terribles voire létales avec le suicide, c’est la société toute entière qui se prive de talents qui n’ont pas surmonté cette absurdité. Tout le monde est perdant à ce jeu.

Nous devons enseigner de nouveau la trilogie thèse-antithèse-synthèse. D’un monde en noir et blanc où tout met en lumière un conflit de valeurs, nous passons à un monde où le jaune, le rouge et le bleu existent pour donner matière à la couleur.

Nous aurons ainsi franchi un grand pas en passant du binaire au ternaire. Mais pourquoi s’arrêter à une trilogie quand une tétralogie nous attend ?… Transposant en le sachant ou non les quatre sens de l’Écriture à la pédagogie, Antoine de La Garanderie nous redonnait une clé de lecture universelle : tout peut se lire à l’aune des quatre paramètres (ou portes, ou points de vues, etc.) P1, P2, P3, P4. La médiévale tétralogie histoire, allégorie, tropologie, anagogie, s’actualise en concret, convention, opération complexe, opération élaborée. Ou action, cadrage, objectivité, subjectivité.
Ceux qui se réclament de la « gestion mentale » sont censés connaître par cœur cette tétralogie, et la manier avec brio au point d’être capable de faire un « profil pédagogique » dont la marque est un histogramme avec ces P1, P2, P3, P4.

Après plusieurs années de recherche, au fil de ses publications, La Garanderie découvrait l’existence de cinq gestes mentaux de base. Sa phénoménologie de la pensée rejoignait ainsi celle du corps que représente le taoïsme, selon lequel il y a également cinq mouvements de base. Parmi les applications pratique, le kung-fu, la médecine chinoise avec l’acupuncture et le tuina, la médecine japonaise avec le shiatsu, etc. Nous sommes bien passés de quatre à cinq.

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?… Allons jusqu’à six. Voire sept même !
Mes recherches en noématique, recoupées par des études en sciences cognitives, montrent qu’il y a six natures de langage, ou six modes d’expression, ou six façons de produire.
Et mon modèle, exposé dans Les 32 joyaux de la pensée, se complète avec les sept niveaux de compréhension par lequel tout un chacun appréhende le monde extérieur.

Nous pourrions continuer, parler des huit modes de direction que j’enseigne à mes élèves de quatrième année, etc. mais revenons à notre monde en noir et blanc.
S’il nous est si familier et si charmant, ce n’est pas seulement parce que c’est un souvenir d’enfance. Ce n’est pas seulement par paresse intellectuelle.
C’est aussi parce qu’une fois sur le terrain de l’action, il n’y a plus que deux options, agir ou ne pas agir. Il faut donc trancher, comme dans tout acte de réflexion. Il faut arbitrer.
Et, in fine, il n’y aura que ce que l’on aura fait, d’un côté, et tout le reste, de l’autre (ce que l’on a pas fait, ce que l’on aurait pu faire, dû faire, etc.).

C’est le paradoxe de l’action : malgré l’effort organique (physique) pour l’accomplir, elle est reposante intellectuellement.
Faire le tri, couper les cheveux en quatre, s’esquinter, et tout le tintouin, c’est bien joli, mais c’est aussi éreintant. Arrive le moment du choix, où il faut agir !
L’action permet de faire la synthèse entre le corps et l’esprit.
La synthèse permet du corps et de l’esprit permet l’action…

Tout ça pour ça ! C’était bien la peine, me direz-vous, de quitter l’irénisme (le monde des Bisounours) enfantin pour y retomber.
Retomber, non. Enfant, nous n’avions pas conscience de la grande diversité du monde. Même si elle nous attirait ou nous émerveillait, nous ne savions pas ce qu’elle représentait. Nous n’arrivions pas à la penser, à l’appréhender. Prisonnier de cette dichotomie, cette variété nous restait étrangère. Soit elle nous aliénait, en nous faisant devenir un autre que nous-même (sans s, c’est bien d’un être singulier dont je parle !), soit nous la rejetions. En la concevant grâce à la trilogie et ses suivantes, nous redonnons naissance à nous dans le monde.
Cet être renouvelé contacte le cœur calme et joyeux de la conscience : enfantin, enfin !

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