Ludique.
Le mot, terrible, est lancé. Terrible car nul n’en connaît le sens, ni la façon d’obtenir ce qu’il désigne.
Professeurs, instituteurs, directeurs, éducateurs, parents accompagnateurs… souhaitent voir le travail scolaire devenir « ludique ».
Oui. Comment ?… Là est la question.
Et si nous cherchions à savoir ce que nous aimons dans le jeu ?
Et pour mieux saisir l’essence du jeu, l’éclairer en contraste avec l’apprentissage scolaire ?
Lorsque nous jouons, nous souhaitons gagner (au moins le silence de nos enfants quand nous les auront laissé gagner…).
Il y a un projet de réussite dans le jeu. Est-il présent dans un exercice scolaire ?
Et si nous perdons, tant pis, un air hautain et surtout la formule « ce n’est qu’un jeu » drapera notre déception (oui, car personne ne dit « ce n’est un jeu » quand il gagne…).
L’enjeu d’un exercice scolaire est tout autre. Venons-nous à nous y tromper que voici notre erreur transformée en faute (mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa… c’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute…).
Nous ne dirons jamais : « ce n’est qu’un exercice ». Tout est dit.
Non, il y a pire.
Lorsque nous jouons, nous acceptons de nous tromper.
Nous cherchons à travers nos tentatives celles qui mènent au succès et rejetons celles qui mènent à l’échec.
Au fil du jeu, nous explorons diverses stratégies, parcourons différentes tactiques.
Notre partenaire, notre adversaire, l’autre joueur ou les autres joueurs nous permettent de jouer. Pourtant ils risquent gagner à nos dépens, mais qu’importe, ils jouent avec nous.
L’erreur est une composante essentielle du jeu, comme de tout apprentissage, mais dans le jeu elle est acceptée car nous en comprenons la nécessité. Il y a même des jeux, de plus en plus nombreux, où les règles du jeu sont absentes, c’est en faisant des erreurs que l’on comprend comment jouer.
Regardons maintenant le statut de l’erreur dans la scolarité.
À l’école nous redoutons l’erreur, nous craignons de nous tromper. Pire, nous comparons nos erreurs et nos succès avec ceux des autres, comme s’ils étaient comme nous alors que nous ignorons tout de leur différence et de leur spécificité. Mais ne vont-ils pas se jouer de nous ?
Nous rêvons, nous fantasmons de réussir « du premier coup ».
Combien d’élèves croient au mythe du bon-élève-qui-réussit-sans-travailler (lui) ?…
La société du spectacle encourage cette vision du monde, aliénante par nature.
Résumons.
D’un côté le jeu où le désir de réussir est toujours présent et l’erreur acceptée et nécessaire, comme élément constitutif du jeu (un jeu où on gagne toujours du premier coup est vite lassant). Et il y a au moins un partenaire.
De l’autre l’exercice scolaire que l’on imagine souvent infaisable dès que la difficulté surgit et où tout erreur est à proscrire. Et c’est une pratique solitaire.
Continuons.
Dans un jeu, le barème, même s’il n’est pas affiché, se devine et est toujours le même pour tous les joueurs.
Dans un exercice, le barème est inconnu, quand il y en a un, et il flotte toujours un parfum d’arbitraire dans la notation (malgré les offuscations des enseignants qui s’en défendent).
Dans un jeu, on sait où on en est par rapport au début et à la fin du jeu. Dans les jeux vidéos, il y a des niveaux.
Dans un exercice, on ne sait pas où l’on en est par rapport au début et à la fin de l’apprentissage. Quant à la notion de niveaux, elle est souvent absente ou illégitime pour les élèves.
En résumé, « ludique » voudrait donc dire :
– nous voulons gagner et si nous perdons ce n’est pas (si) grave (au pire une égratignure de notre amour-propre) ;
– nous allons nous tromper, faire des essais et des erreurs (c’est l’essence du jeu), ce qui nous permettra de progresser car nous avons le droit de recommencer à loisir ;
– nous jouons souvent à plusieurs ;
– nous savons que le jeu est faisable ;
– nous trouvons évident qu’il y ait des niveaux et situons toujours le nôtre ;
– nous connaissons la valeur de nos actions.
Donc, souvent une activité scolaire :
– où perdre joue sur notre avenir social et professionnel ;
– où se tromper est mal vu ;
– où on pratique souvent seul ;
– où on pense que c’est infaisable (Madame, il y a une erreur à la question 3 !) ;
– où on ignore notre niveau ;
– où on nous cache le barème donc la valeur de nos actions ;
est le contraire de « ludique ».
Alors, oui, du ludique, Mesdames et Messieurs les Professeurs, les Instituteurs, les Directeurs, je vais vous en donner !
Faites vos jeux, rien ne va plus…