Anglais et didactique des langues

Compte-rendu de l’intervention de Frédéric Rava-Reny, formateur en Gestion Mentale, professeur de sciences physiques, au IVe Colloque International de Gestion Mentale de Lyon, 2001.

Résumé : Malgré de nombreuses années d’études de l’anglais, le niveau en anglais des Français reste faible. En dehors des difficultés inhérentes aux élèves relatives à l’apprentissage du vocabulaire et de la grammaire, domaines où la mémorisation et la compréhension sont sollicitées, il existe des difficultés intrinsèques à la langue anglaise elle-même en tant qu’objet d’apprentissage. Une visite du chinois, de l’allemand, du grec et de l’hébreu aidera à découvrir la logique spatio-temporelle de l’anglais.

À l’instar du grec ancien, l’anglais est devenu une nouvelle langue commune, une koïnê1. Collégiens et lycéens français l’étudient donc naturellement, au moins quatre ans. Pourtant, malgré ces années d’études souvent laborieuses, le niveau de l’anglais pratiqué par les Français reste bien en dessous de ce qu’on est en droit d’attendre. Devant cet état de fait, plusieurs séries d’explications sont avancées :

  • – celles qui s’appuient sur la théorie du don (l’existence d’élèves doués – minoritaires – et non doués – majoritaires), sur la paresse des élèves ou plus généralement les explications de type déterministe : elles mettent en avant l’aspect machinal de l’homme et surtout, l’y enferment ;
  • – celles qui soulignent la pauvreté phonétique du français et qui en elles-mêmes apportent une voie de développement, enrichir sa prononciation, sans forcément décrire le comment-faire ;
  • – celles que la Gestion Mentale peut apporter : nombre de difficultés, chez les élèves ou les enseignants, se fondent sur une ignorance de l’évocation, des gestes de mémorisation ou de compréhension.

Mais toutes les difficultés ne sont pas chez les apprenants, ni chez les enseignants. Elles peuvent résider dans l’objet d’enseignement lui-même, dans la structure épistémologique de ses choix, de ses outils et de ses supports. Du dire des linguistes, chaque langue recèle une conception propre du temps et de l’espace. Nous parlerions en gestion mentale de structure.

La structure spatio-temporelle de l’anglais diffère de celle du français, chaque langue étant « une approche originale du monde, qui témoigne d’une option singulière dans l’exploration et la représentation que les hommes font de la réalité : une manière particulière qu’a l’univers de leur apparaître. […] une expérience chaque fois unique du corps, de l’espace et du temps. »2

Pour appréhender cette structure, les locuteurs français utilisent des outils pédagogiques.

C’est justement ces derniers qui peuvent intrinsèquement porter la conception française du temps et de l’espace et ainsi créer un obstacle épistémologique dans l’apprentissage de l’anglais.

Ces obstacles intrinsèques existent dans d’autres langues : le linguiste Nicolas Tournadre3 a montré comment depuis douze siècles on plaque la grammaire sanscrite sur le tibétain. Cela devrait nous faire réfléchir sur un éventuel plaquage de notre grammaire française sur celle de l’anglais.

Ressentir l’intuition d’un éventuel plaquage est une chose, mais trouver des indices de son existence en est une autre : ici le cas de la présentation du présent progressif sera déterminant. Sur une ligne temporelle où le présent est représenté par un point représentant l’oméga du passé et l’alpha du futur, comment peut-on élaborer l’idée d’un présent qui progresse, qui possède une certaine épaisseur ?…

Bien sûr, nous pouvons découper la ligne temporelle non en deux, mais en trois, accordant ainsi au présent un espace où se déployer, une épaisseur où se donner une autre texture et une autre saveur.

Mais n’est-ce pas là prestidigitation au lieu de saine cogitation ?

Cela s’accorde-t-il avec la structure de la langue, et surtout avec le sens propre aux structures de la langue, car, je vous le rappelle, « il y a bien un sens propre aux structures d’une langue vivante, sens qui ne doit rien à celui qui la parle ou qui l’écrit. »4

Pour le savoir, il ne s’agit pas de travailler sur la mémorisation du vocabulaire ou de règles de grammaire.

Il s’agit de dévoiler une partie de la structure ou de la logique spatio-temporelle5 d’une langue, d’approcher la grammaire anglaise de façon expliquante.

Mais comment découvrir cette structure ?

Nous ne pouvons procéder directement au dialogue pédagogique de la langue anglaise, hormis de façon plaisante et imaginaire où celle-ci nous parlerait de sa chambre – des députés – rectangulaire avec un espace vide au milieu séparant le parti au pouvoir de celui en face de l’opposition, alors que le français nous parlerait d’une chambre hémisphérique où l’on passe insensiblement de l’extrême-droite à l’extrême-gauche.

Nous pouvons par contre rechercher la contribution des linguistes sur l’espace et le temps, et procéder à l’étude des langues, en passant par une comparaison entre elles, comme le souligne Harald Weinrich6. Bien évidemment, cette comparaison se fera dans une optique

phénoménologique, afin, par contraste de mieux cerner leurs structures, leurs agencements du temps et de l’espace, et de mettre en évidence des outils de recherche ou d’analyse transférables à d’autres.
L’espace et le temps, lieux de la compréhension, demeurent au centre de cette recherche. Mon travail repose par ailleurs sur l’axiome suivant : il est possible de décrire la façon dont une langue structure le temps et l’espace, et cette description permet d’accéder à une compréhension plus fine de cette langue. C’est ensuite sur cette compréhension plus fine, basée sur l’espace et le temps, que nous élaborerons du matériel proposé à l’élève afin de lui offrir la possibilité d’enrichir ses acquis grâce à la mémorisation pour, in fine, étoffer son geste de réflexion. Et même si cette conscience plus fine ne permet pas forcément d’élaborer des outils psychologiques, (qui aident au développement de l’intelligence des élèves), elle invite les élèves à hisser leur propre niveau de conscience.


Temps et espace chez des linguistes
Laissons la place à la vision de la linguistique sur le temps.

A l’instar de la distinction temps interne / temps externe de la Gestion Mentale, certains linguistes, comme Anne Trévise7, distinguent la temporalité, temps grammatical, linguistique, de la chronologie, temps notionnel, extralinguistique.

J’établis le parallèle avec le temps mental, interne, véhiculé à mon sens par la langue du locuteur (linguistique) et enchevêtré avec la grammaire de la langue (temps grammatical), en anglais : tenses, et le temps réel, externe, dont tout le monde a une notion « objective » (avant, pendant, après), indépendant de la langue (extralinguistique), en anglais : time.

Les linguistes proposent donc une séparation entre ces deux « temps », externe et interne pour reprendre des mots de la Gestion Mentale, en utilisant des termes différents.

Ainsi, le temps réel externe est découpé en trois périodes :

– le révolu (avant le moment où je parle) ;

– l’actuel (le moment où je parle) ;

– l’avenir (après le moment où je parle).

Le temps interne est découpé suivant les langues.

On retrouvera par exemple en français le passé (simple), le présent, le futur…

On peut ainsi clarifier l’analyse.

Prenons la phrase « Pierre vient cet après-midi. »

Le temps extralinguistique (time) est l’avenir, le temps linguistique (tense) le présent.

Avec la phrase « Paul mange sa soupe », le temps extralinguistique est l’actuel, le temps linguistique le présent.

Ainsi, un même temps linguistique (tense) peut se rapporter à des temps extralinguistiques différents.

Au niveau de l’évocation de la phrase « Pierre vient cet après-midi », le fait d’utiliser un présent le présente justement comme présent d’où une idée de certitude (comparer avec « Pierre viendra cet après-midi »). La phrase par son utilisation du présent offre une évocation présente à la conscience d’un procès futur et ce déphasage entre tense et time permet d’instaurer une idée de certitude.

Il y a donc bien une séparation entre time et tense, comme il existe une séparation entre temps perçu et temps mental. Maintenant esquissée cette correspondance, visitons quelques langues en vue de nous éclairer sur l’anglais. Et plus que des langues, des cultures, car j’émets l’hypothèse que de la même façon qu’en physique masse et énergie sont deux aspects d’une même réalité, langue et culture sont deux faces d’une même entité.

Chinois, anglais et allemand : voyage en terres d’Empire

Au-delà ou en deçà des différences, des similitudes peuvent apparaître entre chinois, anglais et allemand.

Sans surprise, des sinologues8 décriront la grammaire comme étant « d’une certaine manière le paysage d’une langue« , le chinois donnant prédominance du donné à voir sur le donné à entendre, rejoignant ainsi l’anglais.

Ainsi le chinois ne dira pas la fin du mois mais le fond du mois, le mois prochain mais le mois du dessous, faisant référence à la position spatiale sur le calendrier. L’anglais quant à lui utilisera une vaste palette de verbes pour l’activité perceptive visuelle, là où le français n’utilisera que couramment « voir » et « regarder ».

L’idéal de l’expression se retrouve dans cette phrase de Napoléon à ses généraux: « parlez de telle sorte que j’ai l’impression d’avoir vu ».

Autre point commun entre anglais et chinois, la concision de leur langue : mots dissyllabiques en chinois, phrases et mots courts en anglais, comme si ces langues traduisaient là une volonté de présentation en simultanéité. Sans surprise, en anglais comme en chinois le rapport information / bruit est plus élevé en français.

Le temps semble également n’avoir que peu de prise sur le verbe : aucune en chinois, où le verbe est absolument immuable, faible en anglais où le verbe varie peu tant au sujet des personnes (songez à I, you, we, they / play ; I, you, he, she, it, we, they played) que des formes verbales (quelques formes verbales seulement : celle avec le s, le prétérit, le participe présent et le participe passé). Les verbes anglais et chinois limiteront les temps en leur préférant les aspects (« l’expression de la façon dont l’action est envisagée dans son déroulement ou sa réalisation. »), et useront et abuseront des « auxiliaires » qui se placeront avant lui, se gardant la place de fin.

Là où le temps n’a que peu d’emprise, sans surprise on accorde à l’espace meilleure place.

En chinois, très souvent, la place confère au mot nature et fonction. Il devient verbe lorsqu’il occupe la place d’un verbe, nom quand il est en position de nom. Le parallèle en anglais existe sur les noms « transformés » en adjectifs lorsqu’ils prennent la place de ces derniers. Également, comme en chinois, l’anglais dispose d’une grande aisance à partir d’un mot de fabriquer verbe, nom, adjectif, adverbe… Ainsi water : eau (nom) / to water : arroser (verbe ).

Prédominance du vu, insensibilité au temps, importance de la place, sans étonnement on trouvera que le chinois place ce qui est important à la fin, comme l’allemand.

La phrase est une tragédie grecque : présentation du décor, des acteurs, des figurants, et enfin, le verbe qui donne l’action.

Et l’action étant importante, son appréciation l’est bien moins : ce qui est important, ce n’est pas la négation ou l’affirmation, c’est que les choses SOIENT, pour reprendre la formulation d’Henri Van Lier sur l’allemand et que j’applique au chinois, où les choses SONT tellement qu’elles sont immuables.

C’est peut-être cette importance de l’existence des choses face à leur commentaire qui explique l’inexistence tant en chinois qu’en anglais de « oui » et « non ».

En chinois comme en anglais, la réponse à une question par oui ou non se complète obligatoirement par la reprise du verbe (ou de l’auxiliaire). En chinois, il n’y a d’ailleurs pas de mot pour dire oui ou non. A la question « – As-tu mangé ? », on répondra soit « Oui, j’ai (anglais) / J’ai mangé (chinois)  » soit « Non, je n’ai pas (anglais) / Je n’ai pas mangé (chinois). »

Et si de ces choses il émane un tel sentiment d’être, l’anglais comme le chinois recherchera la meilleure détermination, qui donnera naissance en chinois à ce type de super article qu’est le spécificatif. Là où le français dira simplement « des fleurs », l’anglais comme le chinois préféreront dire « un bouquet de fleurs ».

La détermination sera aussi sans équivoque en chinois, en anglais et en allemand : l’ordre déterminant – déterminé est immuable, contrairement au français. Ainsi, un problème d’énoncé du type « soient deux points A et B distincts du cercle C » où le locuteur français peut croire ou bien que ces deux points sont sur le cercle et distincts entre eux, ou bien que ces deux points ne sont pas sur le cercle, est impossible en anglais, en allemand ou en chinois. Ces trois langues se doteront ainsi d’une bonne précision, utilisée à merveille dans le développement des sciences. L’éclosion de la science allemande, l’universalité de la science chinoise, l’adoption et le maintien de l’anglais comme langue scientifique internationale ne seraient donc pas complètement un hasard de l’histoire.

Pour en finir avec l’espace, faisons-le disparaître. Alors à la question « comment faire une phrase sans faire une phrase », formulée par Jean-Marie Zemb9, professeur au Collège de France, ou, formulée autrement, « comment donner un espace sans donner d’espace », la réponse est tout simplement : en commençant la phrase interrogative allemande par un espace vide.

Reconsidérons en conséquence la structure de la phrase interrogative anglaise : plus inversion sujet / verbe ou position initiale du verbe, mais ouverture par un espace vide.

Les analogies avec l’espace d’accueil de la compréhension restent à exploiter comme celle de la vacuité place nécessaire de la réponse. Puisque l’espace est vide, tout est perdu, fors l’immuabilité.

Avant de passer à l’hébreu et au grec, examinons les outils collectés au travers de ce voyage en terres d’empires ou les points de comparaison :

– l’utilisation des temps et des aspects ;

– la relation entre la place des mots et leur rôle dans la phrase, qui va de pair avec l’expression de la détermination ;

– l’apathie ou le dynamisme du verbe : conjugaison, auxiliaires, etc.

– une détermination sans équivoque ;

– l’appel par le verbe à des aides, les auxiliaires ;

– de nombreux petits mots émaillent la langue et lui donne mouvement ou intentionnalité (parallèle avec les coverbes grecs).

Espace grec et temps hébreu, couple originel de la culture européenne

Heidegger le rappelait à Vuia10, la tradition occidentale est précisément constituée par la rencontre historique de l’apport grec et de l’apport hébraïque.

Et plus de deux mille ans de cette tradition raconte combien le grec est spatial, donne prédominance à la Vision, considère l’histoire cycliquement – donc dans une globalité – et combien l’hébreu est temporel, donne prédominance à l’Écoute, considère l’histoire avec un début et une fin – donc dans une linéarité. Mais saurons-nous nous satisfaire de similitudes de vocabulaire ?

Face à la polémique qui sévissait depuis des décennies entre Vision et Écoute, les Pères de l’Église, avec Philon d’Alexandrie, ramenèrent le calme en précisant que pour eux les termes de « vision » et « d’écoute » ne se rapportaient pas à la perception. Origène ira même jusqu’à élaborer une doctrine des « cinq sens spirituels »11 et utilisera un vocabulaire familier : « sens intérieurs », « d’objet de la perception »…

Mais nous laisserons-nous tenter par une similitude de concept ?

Le mieux serait d’interroger le grec et l’hébreu sur la façon dont ils structurent le temps et de l’espace.

Qui, à supposer que l’un des deux le soit, serait « spatial », se donnant en premier lieu un cadre d’espace, dans lequel apparaît en second le temps ?

Qui, de même, serait « temporel », se donnant initialement un cadre de temps pour le parcourir créant ainsi en second l’espace ?

Interrogeons-les donc sur la façon dont chacun envisage la création.

Tournons-nous vers Hésiode pour la version grecque : Terre (Gaïa) enfanta Ciel (Ouranos) « aussi grand qu’elle-même, pour qu’il la couvrît tout entière »12. Et il la couvre tant et si bien que Terre se voit condamner à garder en son sein ses enfants. Le petit dernier, Temps (Chronos) castrera son père, Ouranos, le forçant ainsi à se rétracter. Apparaît alors un ESPACE entre Ciel et Terre dans lequel va pouvoir se déployer Chronos le TEMPS. C’est bien là toute la démarche du sujet spatial : création première de l’espace que remplira le temps.

La version hébraïque, vous la connaissez, c’est celle de la Genèse où « au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. »13 Et là, la démarche est absolument contraire à celle des Grecs : la création d’un TEMPS (premier jour,…) précède celle d’un ESPACE (création du ciel, des eaux, de la terre…).

C’est bien là la démarche du sujet temporel !

De cette promenade de vers chez les tenants de notre culture, nous pouvons collecter comme outils :

– la consultation des mythes relatifs à la création, à l’espace ou au temps ;

– la tendance à l’analyse ou à la synthèse ;

– la différenciation entre temps cyclique et temps linéaire.

De la recherche d’une grammaire véritable à la traduction impossible

Maintenant riche de quelques outils d’analyse glanés lors de notre balade au travers des langues, retournons vers le sujet de notre étude, la grammaire. Mais s’agit-il d’une grammaire réelle ou celle enseignée aux élèves français, une grammaire simplifiée aux dires d’Anne Trévise qui pose la question : quand passe-t-on à la vraie grammaire ?…

Une solution serait de pouvoir enseigner une grammaire réelle dès le départ : et pour répondre à cette question didactique, le passage par l’évocation sera nécessaire.

En effet, car si nous observons ce qu’il en est de la traduction, nous nous apercevons qu’elle est littéralement impossible car une phrase anglaise, quelle qu’elle soit, est d’abord présente pour signifier quelque chose. Elle a vocation de sens.

Aussi, traduire directement de l’anglais au français en ne se préoccupant que des mots est impossible.

Il est nécessaire de s’interroger sur l’évoqué caché derrière la phrase, et c’est cet évoqué que l’on cherchera à traduire en mots dans l’autre langue.

Parfois, on ne peut pas traduire en l’absence de l’évoqué de l’énonciateur.

Sur une phrase aussi « simple » que « il joue au tennis » certains apprenants évoqueront le fait qu’il joue présentement au tennis, et l’anglais utilisera un présent progressif : il joue au tennis en ce moment : he is playing tennis, alors que d’autres évoqueront le fait qu’il sait jouer au tennis, et l’anglais utilisera un présent simple : « he plays tennis » ou « he can play tennis » (il joue au tennis = il a acquis une pratique de jouer de tennis acquise par une pratique).

La phrase « il joue au tennis » est intraduisible, à moins de connaître l’évoqué présent derrière la phrase, qui sera donné, par exemple, par le contexte.

Traduire nécessite donc le projet précis de traduire la phrase – écrite ou orale – en évoqué et d’incarner ensuite cet évoqué dans l’autre langue.

C’est bien une recherche du sens, que nous allons mener brièvement ici sur six points de grammaire.

1. Place et invariabilité des adjectifs

Alors qu’en français les adjectifs sont libres de se promener au sein de la phrase (liberté, égalité, fraternité) car leur accord est sonore, l’anglais leur assigne une place fixe (the right thing at the right place) : avant le nom qu’il qualifie, réalisant ainsi une économie d’accord.

Là où le français donne à entendre, l’anglais donne une place, rendant ainsi absolument inutile un accord puisque sa place parle pour l’adjectif !

2. Structure du groupe verbal : formule de Chomsky

Noam Chomsky14 proposa la formule suivante :

FORMULE DE CHOMSKY
ì present tense í (will) (have + participe passé) (be + participe présent) verbe î past

Cette formule est factorisée : ce qui est entre parenthèses s’appelle un facteur, et son développement de type mathématique donne les seize formes verbales à l’actif.

Sa présentation globale tranche avec la présentation linéaire des temps de l’anglais étalée sur plusieurs années, au risque de décourager des élèves qui trouvent que « cela n’en finit pas ».

Elle permet un travail en déduction ou en induction, d’établir des liens entre anglais et mathématiques et de ce fait de renforcer l’activité de comparaison – analogie, sériation et attribution – propre au paramètre 3 et activité centrale du grammairien.

Pour « développer », il faut choisir un tense, present ou past, et au choix un, deux, trois ou aucun facteur. On respecte l’ordre de lecture (de gauche à droite).

En prenant le verbe play, on obtient ce qui suit, où les numéros impairs correspondent à un tense present, les pairs à un tense past.

(verbe seulement)

1. I play 2. I played

(un facteur seulement)

3. I am playing 4. I was playing

5. I has played 6. I had played

7. I will play 8. I would play

(deux facteurs)

9. I has been playing 10. I had been playing

11. I will be playing 12. I would be playing

13. I will have played 14. I would have played

(les trois facteurs)

15. I will have been playing 16. I would have been playing

3. Le pluriel des noms à y final

Une des difficultés des élèves sur l’anglais est le pluriel des noms en y, qui fait -ys mais parfois -ies (le -es insiste sur le son [iz]). Il en est de même pour la troisième personne du singulier du présent des verbes en y. La difficulté est dans ce « parfois » qui n’est pas explicité.

Pour savoir quand il faut garder le y ou le remplacer, j’ai créé « la règle du y » pour savoir quand il faut le garder ou non.

Règle du y

Le « y » remplace deux i.

Dans un mot (mis au pluriel ou transformé par conjugaison), si les deux i sont nécessaires

pour la prononciation, alors on écrit y.

Si un seul i suffit à la prononciation, alors on écrit seulement i.

Cette règle s’applique tant au français qu’à l’anglais, ce qui facilite son travail.

Exemple en français : on écrit « payer » avec un i pour former le son i de pai- et un autre pour former le son -ier, et  » paiement  » avec un seul i, le y étant superflu.

Exemples en anglais : baby fait au pluriel babies car un seul i est nécessaire à la prononciation du [iz], mais play fait plays car il y a un i pour faire plai- et un i pour faire le -is.

4. Le s du présent simple

La règle de grammaire qui énonce l’ajout d’un s sonore au radical de la terminaison du verbe à 3ème personne du singulier du présent – seule et unique exception de la conjugaison anglaise – est sans doute la plus transgressée.

Pourtant, la grande majorité des élèves rencontrés au sujet de l’anglais connaissent formellement cette règle.

Cette connaissance n’entraîne pas nécessairement sa mise en pratique.

Mais pourquoi l’anglais met-il un s sonore à la troisième personne du singulier du présent alors que le français met un s muet à la deuxième personne du singulier du présent ?

Partons du principe minimal que la langue est une convention entre deux personnes visant la communication et l’échange d’informations selon un protocole établi et connu.

La circonstance où se déploie le langage est la rencontre, où on trouve trois personnes auxquelles langue attribue un statut différent :

– soi-même, la première ;

– la personne présente avec qui on parle15, la deuxième ou seconde ;

– la personne absente dont éventuellement on parle, la troisième.

Nous voici donc dans la situation de trois personnes, physiques ou évoquée.

Partant du principe que le S est la marque de l’altérité, j’énonce le constat suivant :

Pour l’anglais, l’autre est celui qu’il ne voit pas et il lui attribue un S qu’il entend.

Pour le français, l’autre est celui qu’il voit et il lui attribue un S qu’il n’entend pas.

L’anglais accorde sa préférence à l’œil là où le français l’accorde à l’oreille.

Pour l’anglais, ce qui est vu prime. Aussi, lorsque je parle à une deuxième personne, je la vois. Elle est là, avec moi. Ce qui est absent, ce qui est autre, c’est la troisième personne. Et pour signifier cette différence de statut, l’anglais va rendre présente cette troisième personne invisible en la faisant entendre en lui mettant le S marque de l’altérité.

Pour le français, ce qui est entendu prime. La troisième personne est parlée par moi, fait ainsi corps (et évoqué) avec moi et ne m’est pas autre. L’autre est mon auditeur devenu locuteur avec une voix étrangère. Pour signifier cette différence entendue, le français la fait voir seulement par un S de l’altérité à l’écrit.

Pour rendre cohérent pluriel et altérité, le passage de l’unité au pluriel peut s’évoquer comme le passage de l’un à un autre que le un.

Quant à savoir pourquoi le S se met seulement au présent, quoi de plus normal : ce n’est qu’au présent que le monde est réellement visible.

L’échange : situation de compréhension ou de mémorisation ?…

Mais, alors que notre voyage linguistique nous donner des indices récurrents de préférence spatiale pour l’anglais, alors que l’anglais donne préférence à l’œil, comment expliquer qu’il fasse entendre le S de l’altérité ?…

La question revient à savoir si lors d’un échange nous sommes en situation de mémorisation, de compréhension ou autre ?

Relisons ce passage de Défense et illustration de l’introspection (p.111) : “on peut dire que le sujet visuel est désavantagé par la présentation visuelle d’un message à comprendre […] parce que la nature du message incite à une pure et simple mémorisation. Place n’est pas donnée pour une structure de projet de sens assumant une traduction dans un milieu de sens évoqué, spatial ou temporel ? Cela est vrai. […] certains sujets qui ont toujours répugné à apprendre par cœur ont pris l’habitude de toujours pratiquer la traduction du visuel perçu en verbal et de l’auditif perçu en images visuelles […] C’est un paradoxe mais dont l’explication est facile à donner : le fait d’opérer la traduction – le donné perçu dans leur langage pédagogique propre – leur permet de composer le “signifiant” spatial ou temporel qui ouvre à l’intuition du sens.” Voilà pourquoi, à mon sens, le dialogue entre deux égaux, deux pairs, s’inscrit dans une situation de compréhension.

5. Présent progressif

Les élèves français hésitent souvent entre présent progressif et présent simple, prétérit et present perfect. Le présent progressif traduit une action qui se déroule dans l’actuel.

Comme dit au début de cet article, face à la présentation traditionnelle avec une ligne bipartite qui pose le problème de savoir comment schématiser alors un temps (tense) qui exprime une durée dans un temps qui serait… ponctuel, nous avons introduit une ligne temporelle coupée non en deux mais en trois, évitant ainsi d’atomiser le présent et de lui donner une épaisseur dans lequel il peut se dérouler.

Pour savoir si cette division tripartite correspond à une réalité, interrogeons l’anglais du côté des mythes relatifs au temps.

Alors que la division bipartite renvoie à Janus, la divinité romaine au double visage, l’un tourné vers le révolu, l’autre vers l’avenir, la division tripartite fait écho aux trois parques de la tradition nordique, les trois nornes que Shakespeare transforma bien injustement en trois vieilles sorcières dans Macbeth.

La représentation d’un temps tripartite est bien plus adéquate, tant au niveau de la concordance culturelle qu’en ce qu’elle ne peut induire, comme le temps bipartite, une représentation erronée.

Nous pouvons ainsi représenter le présent progressif comme une flèche en ressort placée dans le cadre de l’actuel, et identiquement les autres formes progressives, notamment le prétérit progressif – flèche à ressort dans le cadre révolu – ou le futur progressif – flèche à ressort dans le cadre avenir.

Sur le sens, le présent simple exprime une potentialité, manifestable soit maintenant, soit plus tard. Le présent simple ne donne aucune précision sur le caractère acquis ou inné de  cette potentialité, donc reçue à un moment donné ou présente de toute éternité.

Face à ce présent permettant de signifier une éternité, une potentialité toujours présente, l’expression d’une action actuelle se verra signifier par la forme continue, non pas expression d’une potentialité mais manifestation d’une potentialité, dans le maintenant pour le présent progressif.

Les phrases que je propose généralement à l’évocation pour vivre cette distinction sont : « il joue au tennis » et des variantes du style : « (le nom de leur ami ou leur propre nom) joue au tennis », « il sait jouer au tennis », « il joue au tennis maintenant », « il joue bien au tennis », etc. Bien entendu, la proposition à l’évocation se fait avec mise en projet et dans le cadre d’un dialogue pédagogique.6. Présent parfait (present perfect) et passé simple (prétérit)
Pour clore notre programme, abordons brièvement ces deux temps.

Au lieu de suivre la voie habituelle d’une description extérieure à la personne par le biais d’outils descriptifs, essayons de la faire de l’intérieur, par la conscience de la personne, en examinant ce que proposent ces temps au niveau évocatif.

Le prétérit propose le mouvement mental de se déplacer de soi vers le passé, le present perfect le contraire, de faire venir le passé à soi.

Ces deux mouvements mentaux distincts semblent aisément distinguables par des personnes en dialogue pédagogique, où j’applique le protocole suivant :

1- mise en contact suffisante des personnes – apprenant l’anglais ou non – avec leurs évocations.

2- interrogation sur comment la personne évoque le passé, le présent, le futur par rapport à son corps (devant, derrière, en haut, à l’intérieur, à gauche, sensation de chaleur, etc.) : outil proposé par France Pagès.

3 – deux phrases, l’une correspondant au mouvement du prétérit (hier j’ai cueilli des cerises) et l’autre au mouvement du present perfect (tiens ! quelqu’un a cassé le vase) sont proposées à l’évocation.

Arrivé au terme de cet exposé, il resterait encore bien des choses à dire sur la grammaire.

Un travail plus complet existe et sera bientôt à disposition.

S’agissant de recherches, j’accueille avec plaisir remarques, commentaires, observations…

Frédéric Rava-Reny


1 C’est d’ailleurs parce que le grec était devenue la koinè, la langue commune de l’antiquité, que les Hellènes d’Alexandrie créèrent à l’usage des non Grecs la grammaire, « mode d’emploi » de la langue.

2Les langues européennes, entretiens d’Henri Van Lier avec Emmanuel Driant sur France-Culture

3 Nicolas Tournadre, Présentation de la grammaire traditionnelle et des cas du tibétain. Approche classique et analyse moderne ; pp.189-198 in Tibet : Civilisation et Société. Éditions de la Fondation Singer-Polignac, 1990.

4 Antoine de La Garanderie, Critique de la Raison pédagogique, p.26

5 Sur la notion de logique de langue, cf. le travail de France Pagès et notamment « Sens et grammaire : logique spatio-temporelle des structures de langage », pp.197-207 des actes du colloque Gestion mentale et mobilité de la pensée.

6 Harald Weinrich, Langues et littératures romanes, Discours d’introduction au Collège de France, 29 janvier 1993

7 Anne TRÉVISE, Le prétérit anglais. Paris, Nathan collection 128, 1994, p.19

8 Joël BELLASSEN, TCHING Kanehisa, ZHANG Zujian, Chinois, mode d’emploi. Grammaire pratique et exercices. Editions You Feng, Paris, 1996, pp.4-9

9 Jean-Marie Zemb, Thème, Rhème, Phème. Grammaire et pensée allemandes. Vidéo du Collège de France.

10 Frédéric de Towarnicki, A la rencontre de Heidegger, Gallimard, 1993, p.77.

11 Sœur Gabriel Peters o.s.b., Lire les Pères de l’Eglise. Cours de patrologie. Desclée de Brouwer, 1981, p.435.

12 p.39 de la traduction Arléa de la Théogonie.

13 Bible, traduction Segond.

14 Je remercie d’avance quiconque m’aidera à trouver où et quand le célèbre linguiste américain a exposé cette formule.

15 Je me place dans la situation locuteur – auditeur, antérieure historiquement à la situation scripteur-lecteur.

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