Une de mes stagiaires émet l’hypothèse, probable, que certains dyscalculiques seraient dans le temps sans pouvoir accéder à l’espace. La conservation du nombre serait alors analogue à de l’espace. Considérer la conservation de la quantité (nombre) comme de l’espace se tient comme idée.
Du coup, comment construire l’espace à partir du temps ?…
Dans la formation « Situer les écueils de la compréhension avec l’espace-temps », nous voyons que le temps engendre l’espace et que l’espace engendre le temps.
Nous savons également avec la « loi des évocations », énoncée par Antoine de La Garanderie dans Les Profils pédagogique que c’est à partir d’une évocation visuelle qu’un visuel évoque auditivement (et que c’est à partir d’une évocation auditive qu’un auditif évoque visuellement).
Dit autrement, que pour accéder à un aspect complémentaire de sa gestion mentale, il faut d’abord vivre pleinement sa spontanéité.
Donc, si je veux passer du temps à l’espace, je dois épuiser tout le sens que porte le temps : ensuite, l’espace apparaîtra comme la suite naturelle du temps, comme le fruit apparaît après l’accomplissement de la fleur.
Comment épuiser le sens du temps, comment saturer la démarche temporelle, comment remplir jusqu’à plus soif ?…
Eh bien puisque cette stagiaire utilise des manipulations d’objets que proposait Piaget, utilisons-les.
Prenons des plaquettes en bois (ou plastique) de couleurs différentes (et de formes rectangulaires de préférence) et un récipient transparent qui puissent les contenir exactement c’est-à-dire sans qu’il y ait d’espaces vides entre les objets (pas d’interstices visibles).
Disposons-les ou faisons-les disposer ou suivons les instructions de la personne (trois postures du niveau corps de l’échelle de compréhension : spectateur, acteur, metteur en scène) afin de remplir le récipient.
Disons, ou faisons dire, ou laissons-nous guider pour dire (trois postures) l’ordre dans lequel les plaquettes sont disposées. Par exemple ce sera : rouge, orange, jaune, vert, bleu, mauve. Appelons cette configuration la configuration A (ou l’ordre A). Annonçons que nous allons cacher le récipient en le recouvrant (mieux que de le changer de place) et qu’une fois caché, nous devrons chacun devoir dire l’ordre. Afin de pouvoir dire l’ordre, nous avons à l’évoquer. Ensuite VMC : on vérifie et éventuellement on modifie et/ou on complète notre évocation.
On renverse alors le récipient : est-ce le même volume ? Si oui, alors on évoque bien cette configuration, appelons-la configuration B, dans notre exemple ce sera : mauve, bleu, vert, jaune, orange, rouge.
On renverse de nouveau le récipient : est-ce le même volume que le départ ? (la configuration est la même)
On retire les plaquettes et on les mets dans l’ordre inverse : on voit alors la configuration B,. Est-ce le même volume ?
On revient à notre configuration de départ, la configuration A. Est-ce le même volume ?
On intervertit les deux dernières plaquettes : est-ce le même volume ?
L’idée est de modifier l’ordre et de faire évoquer la conservation de l’espace. L’espace est le même malgré le changement de l’ordre. Quel que soit la séquence de mes couleurs, par exemple vert, mauve, orange, bleu, jaune, rouge, j’en aurai toujours six.
À chaque fois, pour faciliter les transferts futurs, je peux utiliser un autre jeu de plaquettes identiques pour montrer l’ordre en ligne, horizontalement, tandis que dans le récipient les plaquettes sont en colonne, verticalement.
Maintenant je prends un autre récipient fabriqué exprès, où je peux poser deux plaquettes à la fois (au lieu d’une) au fond du récipient. Au lieu d’avoir une colonne de six plaquettes, j’ai deux colonnes de trois plaquettes côte à côte.
J’ai modifié l’espace, mais j’ai toujours mes six plaquettes.
L’idée est de retrouver l’ordre.
Je vais donc aider à le faire retrouver chez la personne : je peux m’aider du modèle et la personne pointe avec ses deux index les mêmes plaques, la référence étant à gauche, l’exercice étant à droite.
Il y a plusieurs pistes, au moins trois, sur la disposition des plaquettes dans le second récipient : verticale, horizontale, boustrophédon.
En vertical, je fais deux colonnes. Pour la configuration A, rouge, orange, jaune, vert, bleu, mauve, cela fait la colonne de gauche : rouge, orange, jaune, et la colonne de droite : vert, bleu, mauve.
En horizontal, je fais deux lignes. Pour la configuration A, cela donnera une ligne rouge, orange, jaune, et la ligne du dessus vert, bleu, mauve.
En boustrophédon, je fais une ligne continue : pour la configuration A cela donne pour la ligne du bas : rouge, orange, jaune, et au-dessus du jaune il y a vert, à gauche du vert il y a bleu, à gauche du bleu il y a mauve.
Je suis le même protocole qu’avec le premier récipient : je cache, j’évoque, je vérifie.
Avec l’objectif de faire émerger la conservation du nombre (espace).
En saturant le temps, c’est-à-dire en explorant tous les ordres possibles.
Bien sûr on peut commencer avec quatre plaquettes seulement, voire deux, mais de préférence avec un nombre pair.
Plus le nombre sera grand, plus on explorera les différentes formes possibles du récipient.
Avec douze plaquettes par exemple, on aura 1 x 12, 2 x 6, 3 x 4, 4 x 3, 6 x 2.
Ensuite, on augmentera le nombre de plaquettes, d’abord en perception, puis en évocation.
Et aussi le nombre de formes de récipient, en perception puis en évocation.
On prendra enfin un nombre de plaquettes que l’on ne comptera pas, et on les mettra dans différents récipients : un avec une colonne, un avec deux colonnes, etc. et on cherchera à vérifier que c’est bien le même nombre dans toutes les formes, puisque c’est la même colonne de départ partagée en deux, puis en trois ou en quatre, etc.
Et pour la conservation de la matière ?…
C’est que la taille des plaquettes est tellement petite qu’on ne les voit pas une par une, mais c’est le même principe…
Remarque : cela marchera peut-être mieux avec des plaquettes ou des objets en noir et blanc, comme les pions du jeu de dames. On alternera dans un premier temps les blancs et les noirs : par exemple blanc, noir, blanc, noir, blanc, noir. Puis on changera juste les deux derniers d’ordre : le blanc à la place du noir et le noir à la place du blanc, en intervertissant l’ordre, ce qui donnera dans notre exemple : blanc, noir, blanc, noir, noir, blanc.