Notre pièce en 2 actes avec un intermède BD
« Bons » et « mauvais » élèves : qu’est-ce qui fait la différence ?…
Acte I : le compte-rendu d’une séance d’ATP en 6ème de février 2004, portant justement sur cette question. Intermède BD : la « magie » de l’évocation, suivi de l’acte II : à la recherche d’une « morale » de l’histoire, au sens de Jean de La Fontaine. À vos plumes amis poètes, pour transformer cette histoire en vers, ou à vos crayons, amis dessinateurs : nous publierons les essais concluants !
Acte I : Témoignage
Il existe en 6ème[1], ce qu’on appelle des séances d’ATP : Aide au Travail Personnalisé(e) (ou Personnel, je ne sais plus…). Il y avait une heure d’ATP dans mon emploi du temps, avec une demie classe. Et l’autre moitié, volatilisée ?… Non, avec un autre professeur !
Dans cet établissement, les élèves de 6ème avaient deux séances d’ATP par semaine. A un professeur la séance, cela en fait 2 et 4 dans un trimestre suite à la permutation des moitiés de classe. Vous me suivez dans ces détails techniques ?… Peu importe. Le décor est planté, la pièce peut commencer.
L’intrigue est simple : comment faire ATP en Gestion Mentale quand vous êtes le seul à proposer cette approche pédagogique.
Les élèves viennent vous voir pour « faire leur devoir« . ¨Pour eux, ATP signifie « Alternative Tranquille à la Permanence » 😉 ce qui n’est pas pour déplaire à certains.
Tentez donc dans ce cas de leur faire découvrir qu’ils font quelque chose « dans la tête » ! Ils ont l’impression que c’est du temps perdu… et vous informent rapidement que Mme Truc ou M. Machin ne font pas comme ça, eux… Évidemment…
Pourtant, cette première séance (la première d’une série qui durera un demi trimestre environ) avec ce nouveau groupe fut réussie pour tout le monde : chacun y trouva ce qu’il attendait.
Les élèves eurent l’impression de recevoir une aide pratique pour leur travail, traduisez leur devoir du moment.
Le prof (moi !…J) eut l’impression de « donner » une façon de travailler propre à chacun applicable en tout lieu et tout le temps…
Sans doute la récente lecture d’Une pédagogie de l’entraide, a alimenté ma réflexion sur le travail en groupe [2] et a fait écho à mes souvenirs de Liberté pour apprendre ? de Carl Rogers.
Comment s’est donc déroulée cette séance de ce matin ?…
J’ai laissé les élèves suivre leur rituel de début de cours. Je demande habituellement à mes élèves de sortir dans un premier temps leurs affaires et dans un second temps, une fois que les affaires de travail sont prêtes, de se mettre debout en silence pour le salut.
Au lieu de « batailler » sur le rituel, je les ai donc laissé se mettre d’abord debout en silence pour ensuite recommencer à s’agiter à chercher les affaires dans leurs sacs (ce qui est le rituel en vigueur dans l’établissement).
Présentation sommaire de leur nouveau prof (moi).
Bien.
Ensuite, je les ai laissé faire ce qu’ils avaient l’intention de faire en n’intervenant pas de suite.
Ils ont donc tous ou presque sorti leur cahier d’histoire pour réviser, ou apprendre, une leçon en vue d’une interrogation le jour même.
Question : – Que voulez-vous travailler ?
Réponse : – Le contrôle d’histoire.
Petite discussion avec les élèves… qui me présentent très vite le crack en histoire : 19 de moyenne, et l’élève moyen, 10,21 de moyenne.
Petite détente limbique [3] avec un : « Ah bon, et comment ça se fait que l’un réussit et l’autre pas ?!…»
Et les élèves de répondre en chœur : « C’est que Gilles est intelligent…
– C’est sympa pour Tom !… (dis-je)
– Non, non, Monsieur, moi je suis bête…(fait-il)
– Et ça se voit tant que ça lequel des deux est intelligent ?…»
Là je regarde bien l’élève à gauche, puis l’élève à droite… : « Non, je ne vois pas… Ils ont tous les deux oreilles, deux yeux, un nez…»
Rires des élèves. Je poursuis : « Des cheveux…»
Là une élève intervient : « Oui, mais ils ne sont pas de la même couleur…»
« Une opposante cognitive ?» me dis-je en mon for intérieur… mais je continue de prendre ce que me disent les élèves :
« OK, qui d’après vous a la même couleur de cheveux que Gilles ?…
– Untel.
– OK. Untel, combien avez-vous en histoire ?…
– Heu, je ne préfère pas le dire, moins que Tom !…
– Donc, vous voyez, ce n’est pas la couleur des cheveux…»
Rires des élèves.
« Oui, Monsieur, moi je suis blonde et pourtant je ne suis pas mauvaise. Bon, c’est vrai, Untel (un autre élève) est blond aussi. »
Je me dis alors que, eh oui, les blagues sur les blondes ne sont pas vécues comme des blagues en 6ème !…
« Combien avez-vous, interrogeant Untel, de moyenne ?
– 14.
– Oui, donc l’histoire des blondes, ça ne veut donc vraiment rien dire. »
Peu importe le degré de réalité que les élèves accordent à ces histoires, il est important qu’ils entendent d’un adulte que ces histoires n’ont pas de crédibilité…
Je poursuivais :
« Bien, alors, comment se fait-il que Gilles arrive mieux que Tom ?… Gilles, vous travaillez ?
– Oui.
– Et vous Tom, vous travaillez ?
– Oui.
– Ah, ça se complique alors, ils travaillent tous les deux… Vous voyez Tom, vous n’auriez pas travaillé, nous aurions pu dire : il ne réussit pas parce qu’il ne travaille pas… mais donc ce n’est pas une histoire de travailler ou de ne pas travailler. »
Les élèves semblent acquiescer… le fait de travailler n’est pas en cause.
« Gilles, voudriez-vous nous dire comment vous travaillez ?…
– En lisant ma leçon !
– Moi aussi je lis ma leçon ! (s’exclame Tom)
– Bien, donc ce n’est pas encore ça. Mais, dites-moi Gilles, avant de lire votre leçon, savez-vous de quoi elle parle ?…
– Ah oui, évidemment.
– Tom, est-ce quand vous ouvrez votre cahier vous avez une idée de quoi elle parle.
– Non.
– Ah, (fais-je très emphatique, rires chez les élèves…) voilà déjà quelque chose qui expliquerait la différence.
Allez, ceux qui savent de quoi parle le cours d’histoire avant de le lire, levez la main. »
Des élèves lèvent la main. Je les interroge :
« OK. Avez-vous une bonne moyenne en histoire ?…
– Oui.
– OK. Ceux qui ne savent pas de quoi parle le cours d’histoire avant de le lire, levez la main.
– OK. Je suppose que vous n’avez pas une bonne moyenne en histoire.
– Oui.
– Ah, voilà donc quelque chose d’intéressant. Je l’écris donc au tableau : 1) savoir de quoi parle la leçon (avant de la lire). »
Et je l’écris au tableau, suivant ainsi la procédure des perceptions dissociées (quand j’écris je ne parle pas et inversement). Je me retourne vers Tom :
« Et vous, vous pourriez avoir une idée de quoi parle la leçon avant de la lire ?…
– Hum, oui.
– OK. Je poursuis. Gilles, faites-vous autre chose quand vous travaillez votre leçon ?…
– Hum ?…
– Eh bien, vous la lisez, c’est ça ?
– Oui.
– Tom ?…
– Moi aussi.
– D’accord, donc ce n’est pas lire qui fait l’affaire.
– Mais, dites-moi Gilles, quand vous lisez votre leçon, à quoi pensez-vous ?…
– ??? (Gilles reste un peu perplexe)
– Pensez-vous aux questions que le professeur pourrait vous poser ?…
– Ah oui, bien sûr !
– Et vous, Tom ?
– Non, pas du tout.
– Et vous pourriez le faire ?…
– Hum, oui.
– Ah oui Monsieur, (font les autres élèves), le prof d’histoire nous a même donné une liste de questions sur le cours.
– Ah bon, montrez-moi ! (je regarde)
Oui, d’accord, mais ce ne sont pas exactement des questions : « Savoir pourquoi l’Égypte est une oasis. » La question serait… « Pourquoi l’Égypte est une oasis. »
– Oui, c’est pour ça que nous devons savoir les définitions. (reprend Tom qui s’intéresse de plus en plus vivement à ce qui se passe).
– Très bien, est-ce plus clair pour vous pourquoi vous devez savoir les définitions ?
– Oui. »
Je me retourne vers Gilles :
« Très bien. Mais dites-moi Gilles, y a-t-il aussi autre chose ?… »
La question est vaste, Gilles reste songeur : je suis la technique du dialogue pédagogique [4] et lui propose diverses possibilités. Il me répond :
« Oui, je pense que je vais réussir mon contrôle.
– Et vous Tom ?….
– Euh, moi je pense toujours que je vais rater les contrôles que je vais faire…
– Ah, donc voilà un autre point de différence. »
Une autre élève intervient :
« Oui mais moi j’ai toujours peur d’échouer à mon contrôle.
– Vous avez le trac.
– Oui.
– Mais vous réussissez quand même.
– Oui.
– Mais vous avez peur de vous planter avant ou après avoir appris votre leçon ?…
– Après.
– Donc, lorsque vous apprenez, vous ouvrez votre cerveau pour qu’il puisse apprendre. Ensuite, d’une certaine façon, vous vous amusez à vous faire peur, pourrait-on dire ça comme ça ?…
– Oui, c’est ça ! (répond l’élève, amusée)
– Même quand vous avez peur, vous savez que vous savez votre leçon.
– Oui.
– Et vous Tom, vous avez l’impression de savoir votre leçon à un moment donné ?
– Non, pas vraiment… »
Au fur et à mesure, j’ai donc écrit au tableau (dans le silence, quand je montre aux yeux, les oreilles se reposent…) trois points essentiels qui venaient de ce temps d’échange :
1) savoir de quoi parle la leçon
2) imaginer les questions qui pourraient tomber en contrôle
3) imaginer que l’on va réussir au contrôle
Une fois les phrases écrites, je les lis pour donner le message aux oreilles. Je poursuis :
« Tout le monde est d’accord ?…
– Oui.
– Bien, alors je vous propose de le faire. Fermer les cahiers et essayer de savoir de quoi parle la leçon. »
Les élèves passent alors en évocation.
J’interroge ensuite un élève sur son évoqué… « les pyramides » me répond-il.
Juste pour le fun, voici une réaction du tac au tac d’un autre élève : « Mais non c’était sur l’Égypte...»
Un dialogue pédagogique rapide avec ces deux protagonistes montra qu’ils avaient tout deux raisons : ils avaient évoqués dans différents registres évocatifs !… (comme quoi, parler de ses évoqués peut apaiser des conflits naissants…)
L’heure étant sérieusement entamée, il reste alors à peine une dizaine de minutes.
J’écris donc le protocole à suivre pour ces 10 dernières minutes.
3 minutes : le cahier ouvert pour prendre et mettre dans la tête.
2 minutes : le cahier fermé pour penser à ce que j’ai du cours dans la tête
3 minutes : le cahier ouvert pour regarder si c’est bon
Fin de la séance…
Interrogés, les élèves étaient enchantés et avaient l’impression d’avoir travaillé et appris quelque chose…
Il pourra sembler surprenant à ceux qui n’ont encore jamais assisté à un dialogue pédagogique (au sens où nous l’entendons), de lire avec quelle vitesse ces jeunes élèves nous firent part de leurs procédures mentales.
Il suffit pourtant, dans un esprit d’accueil inconditionnel, d’interroger les jeunes sur ce qu’ils font dans leur tête, et ils vous donneront eux-mêmes les pistes de recherche ! Pour eux, ce n’est pas encore inhabituel de parler de leurs évoqués.
Cet esprit d’accueil a notamment été préparé quand soi-même on a participé à un groupe qui a échangé sur sa façon de faire exister les choses dans sa tête. On est généralement surpris de constater la diversité des procédures et de réaliser que NON, tout le monde ne fait pas pareil que MOI dans sa tête (c’est une chose d’en convenir avec les lèvres, c’en est une autre de l’avoir vécu).
Également, et c’est là ma façon personnelle (il y en a d’autres), je n’hésite pas à utiliser les ressorts du comique pour gagner un temps précieux dans la mise en confiance des élèves…
Point besoin de peur pour apprendre [5] .
Niels Bohr, interrogé sur son secret pour s’être entouré de jeunes brillants physiciens (des anciens élèves à lui), le livra sans hésitation : ne pas hésiter à passer pour un imbécile devant ses élèves…
© Frédéric Rava-Reny, article publié dans Intelligence mode d’emploi n°4
La BD et La suite sur le même sujet
[1] Pour nos lecteurs suisses, l’équivalent de la 1ère année du CYT (cycle de transition).
[2] Antoine de La Garanderie, Une pédagogie de l’entraide, Chroniques sociales, 1994. Voir aussi p.6
[3] Voir le n°1 d’ Intelligence mode d’emploi, « Le cerveau triunique de MacLean ».
[4] Dans le sens où nous l’entendons en Gestion Mentale : cf. A. de La Garanderie, Le dialogue pédagogique avec l’élève, Bayard.
[5] Toujours pour les lycéens motivés, A. de La Garanderie, Apprendre sans peur, Chroniques sociales, 1999. Demandez-le à votre CDI ! 😉