Mémoire ou oubli, il faut apprendre

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Apprenez à surfer sur les courbes de la mémoire

MÉMOIRE OU OUBLI, IL FAUT APPRENDRE…

Nous voici enfin rentrés chez nous après une longue journée de travail. Après quelques instants de détente autour d’un goûter approprié (le reptilien apprécie[1]J), nous rejoignons notre chambre. Nous appuyons sur l’interrupteur et la lumière illumine notre espace de travail.
Notre pensée s’éclaire également : depuis la maîtrise du feu, le génie humain a facilité nos conditions d’existence. Qu’en est-il donc sur la mémoire, ingrédient indispensable de l’apprentissage ?…
Étonnamment, les informations sont… rares ou peu utiles pour nos leçons. L
Une recherche musclée nous met sur la piste des procédés mnémotechniques [2] enseignés dans l’Antiquité gréco-romaine. Il faut ensuite attendre 1885 pour voir surgir du neuf : le psychologue allemand Hermann Ebbinghaus effectue le premier travail scientifique sur la mémoire avec sa courbe… de l’oubli !
Nous avons une propension certaine à oublier : rien de très surprenant.
A la suite d’Ebbinghaus, Alfred Binet (le fondateur du Q.I.), Pierre Janet, Théodule Ribot et d’autres encore vont étudier scientifiquement la mémoire, chacun développant sa propre théorie.



 
 

En 1974, Tony Buzan publie Une tête bien faite. Il comble un vide, celui de l’application pratique dans notre vie quotidienne. Les courbes de la mémoire[3] qu’il publie rejoignent celles d’autres ouvrages. La 1ère courbe rejoint celle d’Ebbinghaus (au moins pour la deuxième phase). Reprenons les choses dès le départ. Pour mémoriser quoi que ce soit, il faut une situation dont nous nous souviendrons. Nous disons que cette situation nous apporte une information. Ici, information a un sens général : par exemple, regarder sa série préférée à la télévision est aussi une prise d’information. Toute situation consciente nous apporte des informations. D’une façon générale, lorsque cette information s’arrête, nous sommes capables d’en retrouver environ les trois quarts.

Dans un premier temps, paradoxalement, le pourcentage d’informations retrouvées va augmenter. Cela peut sembler surprenant. La raison en est simple si l’on connaît les neurones et leur structure. Un neurone est une cellule nerveuse du cerveau (dans le néocortex1, ce sont les cellules grises…). On peut l’imaginer comme un personnage au très nombreux bras (au moins 1 000 !) [4], tendant ses multiples mains vers ses innombrables amis. Les neurones ne sont donc jamais seuls : ils sont connectés entre eux (plus les connections sont nombreuses et plus on serait intelligent). Aussi, quand l’information s’arrête, les neurones continuent à faire des liens à partir de ce qu’ils ont : en comparant, en reliant des connaissances entre elles, ils créent ou retrouvent de l’information, qui du coup « augmente » d’où le premier pic.

Un exemple ?… Vous venez de téléphoner à une de vos amies. Quelques minutes plus tard, soudainement, vous pensez « Mince, il fallait que je lui dise ça ! »… Vos neurones ont continué de travailler alors que vous n’y pensiez plus ! (c’est y pas beau ça de voir que ça travaille pour vous !) Mais, après ce pic qui se situe environ à dix minutes, si rien n’est fait, la quantité d’information retrouvée va décroître… Un jour après, il ne restera plus grand-chose : on oublie environ 80 % en 24 h.

 

Et ce d’autant plus que dans ces 24 heures, un événement important se produit : vous dormez !


Que fait le cerveau au juste pendant le sommeil ? Non, il ne dort pas : s’il s’arrête de fonctionner, c’est que vous êtes mort (comme pour le cœur). Il fait un grand nombre de choses, notamment un TRI des informations à garder. Mais pourquoi donc ne garde-t-il pas les informations vitales pour mon contrôle de maths ?…

C’est qu’il conserve ce qui est IMPORTANT : le cerveau garde tout ce qui a été vécu mentalement au moins DEUX fois dans la journée.

Tout ce qui a été vécu mentalement seulement UNE fois est jeté aux oubliettes [5]. Si nous repensonsdans notre tête, à ce que nous voulons garder, le cerveau met l’information de côté pendant une semaine. Comme s’il mettait un post-it dessus : « à garder pendant une semaine ». Au bout d’une semaine, si nous n’avons pas fait revivre mentalement l’information, elle est reléguée aux oubliettes, autrement, elle est mise de côté pendant un mois. Comme s’il rajoutait un post-it : « à garder pendant un mois ». Dans le mois écoulé, même chose. Si nous faisons revivre cette information, elle sera gardée six mois, etc. Repenser mentalement à ce que nous désirons garder, le faire revivre, autrement dit l’évoquer, cela s’appelle une reprise mentale ou une réactivation.

Le langage courant connaît la réactivation. Craignons-nous d’oublier quelque chose et nous demandons à un proche de nous faire penser à… Ne lui demande-t-on pas de nous faire évoquer ce que nous voulons garder à l’esprit ?…
Cette courbe de la mémoire indique également que le meilleur moment pour réactiver est dans les dix minutes qui suivent l’information.

Nous retrouvons ici une attitude que font beaucoup de « bons » élèves sans forcément en être conscient : lorsqu’ils quittent un cours, ils savent ce qui s’y est passé, ce qu’ils y ont appris. Ils ont déjà fait la 1ère réactivation. Arrivés chez eux, ils repensent à ce qu’ils ont fait dans la journée et en relisant leurs cours, ils approfondissent cette 2ème réactivation.
Le week-end, s’avançant dans le travail, ils font sans vraiment le savoir une 3ème réactivation…
Ils réussissent mieux car ils se servent mieux, sans le savoir, de leur cerveau…
Mais attention, la réactivation se fait bien de tête : vous pouvez très bien relire un cours tout en pensant à autre chose. Dans ce cas, vous ne réactivez RIEN !
Bien. Et si vous commenciez dès maintenant à réactiver votre journée ? 😉

Frédéric C. Rava-Reny

clin d’œil 😉

                                            Un programme gargantuesque ou pythagoricien ?…

L’importance de la réactivation était connue de Rabelais : il en fait subir un grand nombre par jour au prince Gargantua et une à la fin du jour: « Puis avec son precepteur recapituloit briefvement, à la mode des Pythagoricques[6], tout ce qu’il avoit leu, veu, sceu, faict et entendu au decours de toute la journée. » [7]

Nous avons bien précisé une réactivation simple car chacun peut, selon son désir de réussite, approfondir cette réactivation. Certes, il peut se contenter de repenser aux cours qu’il a eu dans la journée : le matin deux heures de français, une heure de physique, une d’anglais, l’après midi, maths et histoire. Libre à chacun de choisir son niveau d’investissement : le résultat sera évidemment en fonction du niveau choisi…


[1] Pour ceux qui auraient déjà oublié ;-), voir l’article sur les 3 cerveaux dans notre précédent numéro.

[2] Procédés pour travailler la mnémoire, pardon, la mémoire, deviendrai-je amnésique de l’orthographe de mémoire ?

[3] Tony Buzan, Une tête bien faite. Exploitez vos ressources intellectuelles, Éditions d’Organisation.
Les courbes en question figurent en pages 71, 74 et 144 de la nouvelle édition de 1998.

[4] Selon les estimations, un neurone peut avoir de 1 000 à 10 000  connexions : Hélène Trocmé-Fabre, J’apprends donc je suis, Les éditions d’organisation, 1994, p. 101

[5] Notons ici qu’il existe plusieurs théories de la mémoire, dont certaines qui estiment que rien n’est oublié mais seulement enfoui (comme les théories avec l’inconscient).

[6] Pythagoricques : Pythagoriciens, les disciples du philosophe Pythagore (eh oui, il n’a pas fait qu’énoncer un théorème de maths !). Dans les Vers dorés, code de conduite des Pythagoriciens, nous trouvons (dans la traduction de Fabre d’Olivet), une introspection quotidienne à but moral, commune à de nombreuses religions :

     Que jamais le sommeil ne ferme ta paupière

     Sans t’être demandé : qu’ai-je omis ? qu’ai-je fait ?

     Si c’est mal, abstiens-toi ; si c’est bien, persévère.

[7] François Rabelais (1483-1553) dans La vie très horrificque du grand Gargantua, décrit au chapitre XXIII l’éducation que reçoit le prince Gargantua : « Puis avec son précepteur, il récapitulait brièvement, à la manière des Pythagoriciens, tout ce qu’il avait lu, vu, su, fait et entendu au cours de toute la journée. »

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